lundi 17 mai 2010

LaboCom >30< L’identité : une question économique aussi…

On a beaucoup parlé ces derniers mois de l’identité dans un cadre politique. A l’écart de toute polémique, il est aisé d’observer que l’identité revêt pour l’être humain un caractère fondamental. Réelle ou imaginaire, matérielle ou symbolique, l’identité dicte une part de nos pensées et de nos actes. On en prend souvent conscience… quand on est confronté à une identité différente de la nôtre. Nationale, linguistique, religieuse, professionnelle, sexuelle, « tribale », l’identité se manifeste à travers des réalités multiples.

George A. Arkerlof a reçu en 2001 le prix Nobel d’économie – plus exactement, le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel – pour avoir mis en lumière le rôle des asymétries d’information sur le marché. Un vendeur et un acheteur n’ont jamais exactement la même information sur l’objet d’une transaction et il en résulte un déséquilibre affectant le caractère optimal des échanges marchands. Penseur fécond, Arkerlof s’est aussi intéressé aux nombreuses manifestations de l’irrationalité dans nos comportements économiques pourtant supposés rationnels (voir notre LaboCom <13> consacré aux « esprits animaux »).

Avec Rachel Carson, George Akerlof vient de faire paraître un nouvel essai très stimulant sur un nouveau concept, « l’économie identitaire ». Quand les économistes étudient les motivations des individus, ils emploient un outil appelé « fonction d’utilité ». Ce terme mathématique définit en gros, les préférences des agents. La plupart des analyses se focalisent sur la dimension pécuniaire de cette motivation (l’argent comme critère ultime d’expression des préférences), même si la fonction d’utilité peut être appliquée à d’autres domaines. On l’utilise par exemple pour analyser le désir d’enfant, la recherche de statut ou le souci de l’équité. Reste que pour les économistes, ce genre de préférences n’a pas beaucoup d’influence dans l’économie réelle et, en tout état de cause, ce sont des préférences individuelles.

Akerlof et Carson montrent à travers d’innombrables exemples et résultats empiriques de recherches que ces économistes se trompent. D’une part, les préférences individuelles n’ont pas une distribution aléatoire ; elles sont en effet souvent réparties selon des identités collectives, c’est-à-dire des groupes sociaux de référence d’où l’individu tire ses normes. D’autre part, ces inscriptions identitaires ont une importance de premier plan dans la vie économique. Elles peuvent expliquer pourquoi des pays sont portés à l’épargne et d’autres à la consommation, comment les ménages arbitrent leurs dépenses, pourquoi des marques connaissent un cycle de vie, comment les entreprises multinationales (et multi-ethniques) sont parfois confrontées à des difficultés de management, pourquoi subsistent des inégalités de sexe et de « race » dans les revenus et les statuts.

Cette approche par « l’économie identitaire » rappelle tout l’intérêt d’une vision systémique et non « mécanique » des organisations. L’identité n’en est certes qu’un aspect, mais un aspect dont la connaissance précise constitue une source précieuse d’information pour favoriser notamment un management cognitif et axiologique. Ignorer la dimension identitaire c’est, d’une part, priver le management d’un levier important de motivation des équipes, et d’autre part, retirer au pilotage de la communication sa colonne vertébrale.

Référence : Akerlof GA, RE Kranton (2010), Identity Economics. How our identities shape our work, wages, and well-being, Princeton University Press.  
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