mercredi 27 janvier 2010

LaboCom >15< Consommation d’informations : la lecture a de l’avenir !

L’Université de Californie (San Diego) et sept entreprises se sont associées pour produire un rapport annuel sur la consommation d’informations aux Etats-Unis.

Les informations visées concernent celles qui proviennent d’un média quel qu’il soit (téléphone, courrier, journaux, livres, films, musiques, jeu vidéo, etc.), et écartent celles issues de nos relations personnelles et sociales. Il en ressort que les Américains consomment de l’information en moyenne 12 heures par jour, au bureau, à domicile ou en déplacement. Cela représente le traitement d’environ 100 500 mots chaque jour (équivalent de 34 gigabytes de données en stockage informatique). La comparaison avec les plus anciennes études (1980) montre une augmentation de 2,6 % par an dans la durée horaire et de 5,4 % par an dans l’équivalent bytes. Il est à noter que cette forte croissance est toutefois nettement moins prononcée que celle de la production d’informations… Cette dernière obéit en effet à la loi de Moore (doublement de la capacité des transistors tous les 18 mois), avec une croissance exponentielle de 30 % par an ! Il y a donc une limite humaine, cérébrale et temporelle, dans l’aptitude à traiter la masse croissante de productions cognitives au sens large.

Côté média, la télévision et la radio dominent toujours avec environ 60 % des données transmises. Mais deux faits sont notables :

  • Grâce à Internet, environ un tiers des informations sont désormais consommées suivant des modalités plus interactives que passives ;
  • Le volume de lecture a triplé en trente ans bien que le livre et les journaux aient stagné en raison de l’usage massif des mobiles et d’Internet. 
 On a souvent dit que l’image dominait désormais nos représentations : à l’évidence, le langage n’a pas dit… son dernier mot !

Références : Bohn R, J. Short, P. Lane (2009), How much informations 2009 ?, Global Information Industry Center School of International Relations and Pacific Studies, UC San Diego.
Share |

mercredi 20 janvier 2010

LaboCom >14< Quand les entreprises performantes oublient l’éthique des affaires

On pensait jusqu’à présent que les entreprises présentant de bons résultats étaient moins sujettes que les autres à des comportements frauduleux et illégaux. Selon Yuri Mishina et ses collègues, de l’Université du Michigan, il n’en est rien : les excellentes performances font au contraire le lit des comportements éthiques.

Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont examiné le parcours de 194 entreprises industrielles (américaines) sur 10 ans, entre 1990 et 1999. Ils ont observé une corrélation négative entre les résultats et les condamnations.

Comment expliquer le phénomène ? Y. Mishina évoque trois facteurs explicatifs.
  • Le premier est l’aversion de la perte, bien documenté en psychologie générale : plus les gains et les succès sont au rendez-vous, plus nous sommes psychologiquement « fragiles » devant l’éventualité d’une perte ;
  • Le deuxième est l’hubris : en situation de performances répétées, décideurs et managers perdent leur vigilance, venant à penser qu’ils sont infaillibles (nous pourrions appeler cela « effet Kerviel » en France…) ;
  • Le troisième facteur est appelé house-money effect dans la littérature économique : on ne gère pas l’argent de l’entreprise comme son argent personnel, notamment en situation de bénéfices, c’est-à-dire que l’on risque plus volontiers les sommes importantes d’un groupe que les siennes propres.
Conclusion : si votre entreprise obtient d’excellents résultats, c’est l’occasion ou jamais de faire respecter sa charte éthique au lieu de vous reposer sur des lauriers dont l’éclat pourrait bien réserver de mauvaises surprises ! Performance doit rimer avec vigilance.

Références : Mishina Y et al (2010), Why good firms do bad things : The effects of high aspirations, high expectations and prominence on the incidence of corporate illegality, Academy of Management Journal, e-pub décembre 2009.
Share |

mercredi 13 janvier 2010

LaboCom >13< Les « esprits animaux » dans le cerveau humain

Avec la crise économique, les idées de Keynes reviennent à la mode. Deux de ses disciples, George A Arkelof et Robert J. Shiller, livrent un essai stimulant sur les forces psychologiques guidant la finance et l’économie.

Les « esprits animaux », donnant le titre à leur ouvrage, proviennent de l’opus majeur de Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936). L’économiste y observe que si une partie de l’économie semble mue par la main invisible ordonnant les intérêts d’agents parfaitement rationnels, comme le voulaient les héritiers d’Adam Smith, une autre part semble nettement moins rationnelle. L’homme n’est pas un pur automate calculateur : la finance a beau être le lieu de modèles mathématiques très sophistiqués, elle est aussi le domaine où l’exubérance irrationnelle nourrit régulièrement des bulles s’achevant en crises.

Arkelov et Shiller en appellent à une vision plus réaliste, et donc plus complexe, des agents économiques. Ils montrent par exemple que les notions de confiance, de sens de l’équité ou le besoin de se « raconter une histoire » (personnelle ou collective) ont une influence parfaitement observable sur le taux d’épargne, le taux de chômage, l’illusion monétaire (i.e la non prise en compte du rapport inflation-salaire-prix) ou l’émergence des folies collectives et spéculatives.

Ce qui est vrai en macro-économie l’est plus encore en micro-économie, et notamment dans la vie de l’entreprise. Un collaborateur est certes motivé par sa rémunération, car il utilise sa rationalité pour évaluer son meilleur intérêt : l’employeur qui entend jouer la carte du dumping salarial aura du mal à mobiliser les meilleurs talents du marché. Mais il est tout aussi sensible à des critères en apparence non-économiques, comme l’éthique, les valeurs, l’histoire, la culture et même l’imaginaire de l’entreprise. Laisser tous ces chantiers en friche, c’est ignorer la puissance des « esprits animaux » dans le comportement et la cognition des humains.

Référence
: Akerlof GA, RJ Shiller (2009), Les esprits animaux. Comment les forces psychologiques mènent la finance et l’économie, Pearson.
Share |

mercredi 6 janvier 2010

Toulmin et l’argumentation

Le philosophe Stephen Edelston Toulmin (1922-2009), mort le 4 décembre dernier, n’est pas très connu en France. Il a pourtant eu une influence importante dans le domaine de la rhétorique, de la communication, de l’informatique et de l’épistémologie.

Influencé par Wittgenstein, S.E. Toulmin est surtout débattu pour son modèle de l’argumentation (The Uses of Argument, 1958). Selon lui, nos propositions du langage courant contiennent très souvent une fonction de justification fondée sur des arguments pratiques (aussi appelés « arguments substantiels ») et une logique approchée (ou probabiliste). Rien à voir donc avec la logique formelle, qui procède par inférences et déductions à partir d’axiomes. D’ailleurs, nous ne sommes pas toujours conscients des justifications que nous avançons, qui peuvent être simplement implicites dans les propos tenus – la sémantique des points de vue parlent de topoï : ils correspondent à des schémas cognitifs et discursifs structurant nos représentations.

Son modèle de l’argumentation comporte six composantes en interaction :
• la revendication (claim, assertion principale),
• les preuves ou données (evidence, qui appuie la revendication),
• la garantie (warrant, qui est en fait la loi de passage des preuves aux déclarations),
• le support (backing, venant conforter la garantie quand celle-ci est trop faible),
• la réfutation (rebuttal, limitation ou négation de la revendication),
• le qualificateur (qualifier, exprimant le degré de conviction ou de certitude).

Les trois premières composantes permettent d’émettre une assertion, les trois dernières apparaissant de manière facultative. À travers leur étude, on peut découvrir les « topiques » des discours. Hostile à ce qu’il appelait « l’absolutisme » – sous sa plume, l’idée que seule les propositions théoriques ou analytiques sont dignes d’intérêt ou ont valeur de vérité pour les sujets –, Toulmin a souligné que l’argumentation est généralement « dépendante du champ », c’est-à-dire qu’elle se décline selon certains contextes partagés de justification.

L’approche de Toulmin est notamment utilisée pour dresser des cartes argumentaires ou cartes cognitives, permettant de visualiser la structure de nos arguments.
Le cabinet Inférences perd ainsi un inspirateur des méthodes utilisées dans ses approches des stratégies de discours de l’entreprise.

Pour aller plus loin :
Toulmin SE (2003), The Uses of Argument, deuxième édition révisée, Cambridge University Press, Cambridge.
Share |

samedi 2 janvier 2010

LaboCom >12< Consommer des produits “verts” fait-il de vous un modèle de vertu ?

Nina Mazar, professeur de marketing à l’Université de Toronto, et Chen-Bo Zhong, professeur assistant en sciences de l’organisation, se sont intéressés à la psychologie des personnes consommant des produits « verts », c’est-à-dire présentés comme favorables au développement durable.

Trois expériences ont mobilisé respectivement 59, 156 et 90 sujets. De la première, il ressort que les consommateurs de produits verts sont perçus comme plus coopératifs, plus altruistes et plus éthiques que les autres. La deuxième était un jeu dont les participants avaient acheté tantôt un produit standard, tantôt un produit issu du commerce équitable. Or, ceux qui avaient eu une consommation vertueuse se sont montrés moins disposés à partager les gains de l’épreuve. Dans une troisième expérience, toujours en laboratoire, le même phénomène a été observé : acheter un produit vert conduit à faciliter les comportements de mensonge et de vol dans le jeu.


Ce travail illustre le phénomène de la bonne conscience à moindre coût : en accomplissant une bonne action, très visible, on se permet parfois par la suite quelques petites entorses avec la morale, que l’on juge sans conséquence par rapport à notre « crédit » de vertu. Si cette expérience concernait les consommateurs, il est difficile de ne pas penser à certains acteurs économiques (les entreprises notamment) et au phénomène du greenwashing : tel engagement pour une cause honorable, fortement relayé par la communication, permet sans doute d’oublier plus facilement un moindre effort en faveur du développement durable dans la pratique quotidienne…

Référence : Mazar M, CB Zhong (2009), Do green products make us better people?, Psychological Science, à paraître.

Share |