vendredi 6 février 2009

Le neuromarketing, avenir de la communication d’entreprise ?

par Charles Muller

Les années 1990 ont été qualifiées de « décennie du cerveau » en raison des progrès accomplis dans la compréhension du fonctionnement de notre système nerveux central. L’un des grands outils de ces progrès fut l’imagerie cérébrale, c’est-à-dire la possibilité d’observer le cerveau vivant, lorsqu’un individu développe une pathologie ou lorsqu’il accomplit n’importe quelle tâche cognitive (lire, calculer, regarder des photos ou des films, etc.). La tomographie par émission de positions (TEP) ou l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) donnait ainsi un aperçu inédit sur les mécanismes intimes de notre organe conscient, permettant d’identifier les zones impliquées dans l’action, la perception, la sensation, l’émotion ou la réflexion. Les années 2000 ont vu l’application de ces avancées des neurosciences et des sciences cognitives au monde économique. Le phénomène est connu sous diverses appellations : neuromarketing, neurocommunication, neuro-économie. Plusieurs universités consacrent des départements à la question (voir les liens proposés).

Neuronnes, mes beaux neuronnes… que mémorisez-vous ?
Dans un intéressant entretien accordé à l’UJJEF, la journaliste Marie Bénilde* expose ses vues sur ces questions. Quoique très critique, son regard est intéressant pour appréhender un phénomène encore peu développé en France. Le secteur ayant le plus utilisé les outils des neurosciences est celui de la publicité. Quand un annonceur souhaite mesurer l’impact de films publicitaires, l’observation du cerveau d’un panel de volontaires permet en effet de mesurer si les zones cérébrales impliquées dans l’émotion ou la mémorisation (par exemple) sont plus ou moins activées chez les sujets. Ce « neurotest » peut donc contribuer à la sélection des publicités qui seront les plus efficaces pour marquer l’esprit des consommateurs. On peut aller plus loin dans ce domaine, en observant, par exemple, si les hommes et les femmes, les jeunes et les seniors réagissent de la même manière à une image ou un film.

Marie Bénilde insiste volontiers sur le risque de « manipulation » et de « contrôle » dans ce développement du neuromarketing. Mais il convient cependant de noter quelques limites méthodologiques à ce genre d’exercice, en l’état actuel des connaissances scientifiques et des outils technologiques. Tout d’abord, l’imagerie est coûteuse et les panels sont en général très limités quantitativement. Ce faible échantillonnage limite la représentativité de l’étude : si les cerveaux humains partagent les mêmes structures et fonctions, la plasticité cérébrale les rend aussi tous différents au cours du développement. Ensuite, une neuro-imagerie en elle-même est difficile à interpréter en termes qualitatifs. Vous pouvez très bien observer une forte activité des zones émotives du système limbique sans savoir si ces émotions sont de nature positive ou négative, et si elles induiront par la suite un comportement d’achat. Compte-tenu de la résolution encore grossière des outils d’imagerie, il est difficile de quantifier une différence statistiquement significative entre deux stimulations des mêmes noyaux de neurones. Enfin, la neuro-imagerie ne fait parfois que confirmer des évidences assez triviales, par exemple que nous sommes plus sensibles à une image émotive qu’à une image neutre ou que la probabilité de mémorisation (sémantique) d’une marque est proportionnée à son taux de notoriété.

Au-delà du neuromarketing stricto sensu, l’économie connaît actuellement une révision de certains de ses fondamentaux grâce aux progrès de la psychologie, de la théorie des jeux, des sciences cognitives et des neurosciences. On s’aperçoit ainsi que le comportement des agents économiques ne correspond pas au modèle classique de l’Homo oeconmicus vu comme un individu rationnel calculant toujours son meilleur intérêt. Une certaine crise économique mondiale est d’ailleurs là pour rappeler l’irrationalité de certains acteurs… Tous ces domaines méritent d’être suivis avec attention par les entreprises, car ils permettent de mieux saisir les méandres complexes de la cognition et du comportement humains.

* Marie Bénilde (2007), Des cerveaux disponibles. On achète bien les cerveaux — La publicité et les médias, Raisons d'Agir.

Pour compléter votre information (anglais) :
Share |

mercredi 4 février 2009

Momentum effect : les valeurs créatrices de croissance…

par Jean Laloux

Lors d’une conférence organisée par le cabinet de conseil IGA, Jean-Claude Larreche, professeur de marketing à l’INSEAD, a présenté son dernier livre, The Momentum Effect.

Pour une croissance efficace et durable
Son propos a porté sur la difficulté des grandes entreprises à s’inscrire dans une croissance efficace et durable. Dix années de recherche et d’analyse comparées ont permis à Jean-Claude Larreche de montrer que la plupart des entreprises, pour compenser une croissance précaire, mobilisaient une énergie financière disproportionnée au regard des résultats obtenus.
Trois mots résument la vision proposée par The Momentum Effect : dynamisme ; matière grise. Dynamisme par opposition à l’apathie structurelle des grandes organisations ; matière grise par opposition aux investissements marketing qui ne suffisent pas à eux seuls à produire de la croissance. Et Jean-Claude Larreche de rappeler que son analyse des entreprises de Fortune 1000 sur vingt ans montre que celles qui ont dégagé la plus forte croissance sont celles qui ont diminué tendantiellement leurs dépenses marketing ! La leçon à retenir n’est évidemment pas que la réduction des dépenses marketing favoriserait mécaniquement la croissance… mais qu’un marketing massif, au service de produits insuffisamment pensés du point de vue du client et de ses attentes, est contre-productif en terme de croissance durable.
Seules les entreprises qui se donnent les moyens de comprendre en profondeur l’expérience client et refrènent leur pulsion à réduire le time to market sont à même de créer de la valeur de manière efficace et durable. Il serait donc essentiel de prendre le temps de partir à la découverte du client et pour cela de transférer une partie des investissements aval (commercialisation, publicité, communication produit…) vers l’amont (compréhension du client, R&D, construction d’une offre globale dépassant la seule vision produit…). En d’autres termes, de transférer une partie des ressources financières du volet exécution vers le volet création et conception.

Les valeurs, aussi, créent de la valeur
Convaincant, l’exposé de Jean-Claude Larreche tait néanmoins un élément à nos yeux essentiel : la culture. La culture de l’entreprise, son identité et ses valeurs constitutives de sa capacité à dynamiser les ressources internes, à agir sur les comportements et, en dernière analyse, à créer du sens et de la valeur. Nous pensons en effet que les valeurs créent de la valeur pour autant qu’elles ne sont pas seulement revendiquées par le top management et affichées en communication externe, mais comprises, partagées et concrètement vécues par tous les collaborateurs. C’est là une condition nécessaire — mais non suffisante — pour qu’une entreprise soit en mesure de se tourner autrement vers son client, de lui proposer une relation et des produits différenciants qui seront les garants d’une croissance efficace et durable. C’est en tout cas notre conviction. Si les valeurs de l’entreprise ont été absentes de l’exposé de Jean-Claude Larreche, nous soutenons qu’elles sont une composante favorisant l’émergence du Momentum Effect…
Share |