jeudi 16 avril 2009

Les mots de la crise (suite)…

par Jean Laloux & Charles Muller

Dans son édition du jeudi 16 avril 2009, l’hebdomadaire Le Nouvel Economiste a publié sous la plume de Caroline Castets un long article intitulé Les versets apocalyptiques.

Etat des lieux et décryptage du lexique de la crise, cet article fait longuement référence à notre étude Les mots de la crise. Les médias en ont-ils trop fait ? publiée en novembre 2008, et interroge les « mises en mots » de la crise tant par les médias que par les politiques ou les dirigeants d’entreprises. Une vision synoptique des champs lexicaux de la crise servie par des approches différentes, mais toujours à la fois cohérentes et complémentaires.
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mercredi 15 avril 2009

Partager la valeur… ou les valeurs ?

par Charles Muller

Dans les pages « Idées & débats » des Echos, Yves Morieux du BCG (Boston Consulting Group) s’interroge sur le sens caché des rémunérations. Point de départ de son observation : le travail en lui-même produit de moins en moins de motivation et de satisfaction, donc d’engagement et de loyauté. « Les sondages indiquent une baisse de l'engagement et une insatisfaction croissante au travail, souligne Yves Morieux. La tendance remonte au moins à une vingtaine d'années. En 2001, un sondage Ifop-Gallup a dû recourir à un nouveau concept pour classer les opinions des actifs français, celui de « désengagement actif », qui caractérise les 28 % qui peuvent aller jusqu'à lutter activement contre les intérêts de leur entreprise. Selon le Conference Board, le pourcentage d'actifs américains qui se déclarent satisfaits par leur travail a chuté de 61 % en 1987 à moins de 50 % en 2007. La proportion de dirigeants américains qui se disent passionnés par leur travail - à ce niveau on est tenu à rien de moins - est passée de 65 % à 55 % en huit ans. »

Les rémunérations des cadres et dirigeants dont on parle tant apparaissent bien dans cette logique de désillusion : en tant qu’« incitations surajoutées », elles tentent de compenser ce défaut de mobilisation dans les entreprises. Ainsi, le partage de la valeur (économique, financière) tente de répondre au non-partage des valeurs (axiologiques, identitaires) de l’entreprise, mais il ne fait en réalité souvent que l’aggraver.

Et c’est patent en situation de crise : « (…) L'entreprise a besoin d'une loyauté et d'un engagement qui vont bien au-delà du seul respect des règles, insuffisantes face aux problèmes de plus en plus complexes qui se posent à elle à tous ses niveaux. D'où les discours sur la mobilisation collective, l'adhésion à la mission de l'entreprise et l'importance de la vision partagée. Mais, lorsque les choses tournent mal, on est enjoint à aller partager ailleurs. Un contrat social de substitution est alors apparu : performance contre employabilité. L'individu contribue à développer ou mettre en œuvre les stratégies porteuses de performance, et l'entreprise maintient son employabilité sur le marché du travail en développant ses compétences. Mais il s'agit d'un contrat social souvent pauvre, contribuant aussi au désengagement. »

Le diagnostic d’Yves Morieux est clair : « Le management s'est abstrait du travail, au propre et au figuré. Il faut lui redonner les moyens de son travail concret. La connaissance directe des opérations plutôt que la symbolique des indicateurs où on le confine. Le pouvoir réel à la place de l'abstraction des organigrammes virtuels ou en pointillés. Et au lieu des gloses sur les “styles de leadership”, un leadership ancré dans des valeurs incarnées. »

Mais voilà : combien d’entreprises s’interrogent-elles réellement, en profondeur, sur leur identité et leurs valeurs, dans la perspective de baîtir — et maintenir — une vision cohérente de l’entreprise et de sa stratégie ? Et combien d’entreprises, ayant fait ce premier travail, le traduisent-elles ensuite concrètement dans le management opérationnel, sans se limiter à de simples incantations saupoudrées à la va-vite sur les enjeux concrets de l’activité économique ou sur ceux du partage des compétences et de la performance ?
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dimanche 5 avril 2009

Vous avez dit « éthique » ? L’entreprise confrontée au choix de l’éthique ou de la morale…

par Charles Muller

Dans Les Echos, le philosophe Roger-Pol Droit prend acte de l’exigence éthique qui semble aujourd’hui s’imposer dans l’opinion concernant le capitalisme : « Quelle avalanche ! Il n'est plus question que de ça. De Sarkozy à Obama, de Chérèque à Parisot, sans oublier le chœur du G20, les experts, non-experts et commentateurs d'obédiences multiples, tout le monde se préoccupe de rendre la vie financière plus éthique. Il n'est question que de créer ou recréer des règles, de pourchasser les mauvais penchants et les pratiques douteuses, de moraliser le capitalisme... »

Mais en bon philosophe, Roger-Pol Droit ne se contente pas de répéter la doxa (opinion commune et majoritaire) et vise plutôt à en clarifier les enjeux de pensée.

D’abord, ce n’est généralement pas le capitalisme en tant que tel, comme système de production et circulation de biens, qui est soumis à la question éthique, mais ses conséquences sur la vie des individus et l’équilibre des sociétés.

Ensuite, Roger-Pol Droit distingue la morale comme « systèmes de valeurs constitués, normes héritées » et l’éthique comme « construction de réponses fabriquées sur mesure face à des questions inédites ». La place de la finance dans le fonctionnement de l’entreprise, et au-delà de l’économie réelle, pose assurément des questions inédites auxquelles il faudra trouver de telles réponses adaptées.

Le philosophe nous rappelle enfin que l’éthique n’a rien de consensuel en soi, au-delà de son invocation conjuratoire dans la présente situation de crise, et qu’elle connaît de nombreuses écoles. Un héritier de Kant sera par exemple porté à faire confiance dans l’autonomie et la responsabilité morales de l’individu (par exemple celles du dirigeant confronté à la répartition de bonus) alors qu’un disciple de Hobbes verra plus volontiers la « guerre de tous contre tous » à l’œuvre dans le monde économique, et la nécessité de règles prudentielles de co-existence émanant d’un tiers (les pouvoirs publics).

Comme toujours, chaque mot recèle des pièges, des malentendus, des équivoques. Il en est d’autres que Roger-Pol Droit ne relève pas. Par exemple, les « chartes éthiques » qui ont fleuri ces dernières années dans l’entreprise. Elles concernent plus souvent les bonnes pratiques des acteurs internes de l’entreprise dans la marche des affaires, qu’elles n’apportent une réponse aux attentes morales exprimées par la société, les médias ou les pouvoirs publics. Cette réponse relève en effet soit des engagements de l’entreprise en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE), soit d’un simple affichage de bonnes intentions.

La crise économique appellera-t-elle à des clarifications sémantiques et axiologiques de la part des entreprises dont les stratégies de communication vont de plus en plus s’apparenter à de la gestion de communication sensible ? On peut l’espérer, car en période troublée, une vision claire, un projet cohérent et une communication authentique sont plus que jamais nécessaires.
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