mercredi 17 décembre 2008

Un plaidoyer pour les valeurs de la banque de l’après-crise

par Jean Laloux & Charles Muller

Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde du 15 décembre, Philippe Dupont, président du Groupe Banques Populaires en appelle à l’émergence d’une banque de l’après-crise qui devra présenter, selon lui, trois caractéristiques : la proximité, la solidité et la maîtrise. Philippe Dupont termine sa tribune par une justification argumentée de la fusion des Caisses d’épargne avec les Banques Populaires. Une fusion dont l’objectif est de constituer un pôle bancaire capable de porter les valeurs de cette banque de l’après-crise qu’il appelle de ses vœux.

L’identité des banques à reconstruire
Au-delà de l’exercice de communication autour d’une fusion annoncée, l’intérêt de cette tribune réside surtout dans l’affirmation que la reconstruction du capital immatériel de la banque — des banques — passe par une refondation des valeurs et des positionnements afférents. Comme nous le suggérions dans un post précédent, un travail de reconstruction et de refondation des valeurs doit maintenant se faire sur la base, entre autres, de réponses adaptées à ces trois questions : comment retisser de la confiance avec toutes les parties prenantes, espace social y compris ? Comment maintenir et recréer une relation de proximité, respectivement avec les salariés et les clients ? Comment rassembler tous les niveaux managériaux autour de valeurs crédibles et mobilisatrices pour tous ?

Que dit le texte au-delà du texte ?
Par habitude — ou déformation —, nous nous sommes livrés à une sommaire analyse de discours de la tribune de Philippe Dupont qui montre que si les substantifs les plus cités sont banque et crise, proximité et client viennent respectivement en 3e et 4e position, suivis par fusion.

La notion de proximité — centrale dans le texte de Philippe Dupont — est connotée autant dans sa dimension géographique (La banque de la proximité suppose enfin un ancrage territorial fort… ; …mais c’est aussi en proximité que devra être réinvestie l’épargne collectée dans un territoire…) que relationnelle (…une relation durable et globale [avec le client. Ndla] basée sur le conseil et le service de proximité… ; …c'est-à-dire à des actions de proximité avec des missions d'intérêt général et des actions en faveur de ceux qui entreprennent…), qu’« affective » (…je sais que nous avons la chance de partager une même tradition coopérative et de mêmes valeurs de proximité).

Autre point remarquable, l’ancrage temporel du discours. Nous sommes dans le projectif, le devenir d’une fusion promise et présentée avec un visage possible de la banque de l’après-crise (Notre futur groupe s'appuie d'autre part sur la modernité du statut coopératif. / …le tiers des clients du futur ensemble sont des sociétaires. / Ce lien déjà fort entre le futur groupe et ses sept millions de sociétaires ne demande qu'à se renforcer…). Un discours de la volonté, marqué par l’usage du futur et de verbes comme réussir, construire ou agir parmi les 5 verbes les plus utilisés (hors les auxiliaires être et avoir et les modalisateurs devoir et pouvoir). Une tonalité générale qui illustre bien la vision de la banque de l’après-crise par Philippe Dupont, et lui donne parfois les accents d’une triple conjuration :
  • Conjuration de la défiance à l’encontre des banques de la part du grand public souvent outré par une « valse des milliards » qui donne l’impression que la réalité de leurs besoins et difficultés est en définitive regardée de très loin ;
  • Conjuration de la fragilité du système bancaire — l’effet « château de carte » ou « domino », c’est selon —, qui fait craindre des lendemains rugueux avec des faillites en cascade, en raison notamment de la part extrêmement faible des fonds propres des banques, rapportée aux prises de risque ;
  • Conjuration de la nature incontrôlable du secteur bancaire dont l’opacité et la complexité des produits sont un facteur de crise, comme l’incapacité des spécialistes à anticiper certains effets pervers.
De ce point de vue, proximité, solidité et maîtrise constituent bien les outils rituels appropriés pour un exorcisme d’un genre nouveau : celui des démons de l’industrie financière.
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lundi 15 décembre 2008

Les valeurs des banques au jeu du chamboule-tout

par Jean Laloux

Dans notre étude consacrée aux mots de la crise, les banques apparaissent comme les grandes perdantes symboliques de la crise — et pas seulement symboliques ! De fait, elles sont parmi les premières entreprises à subir la rupture de confiance générale qui n’a cessé d’aller crescendo depuis le début de la crise. Les questions posées par cette nouvelle donne sont conséquentes : comment retisser de la confiance avec toutes les parties prenantes, espace social y compris ? Comment maintenir et recréer une relation de proximité, respectivement avec les salariés et les clients ? Comment rassembler tous les niveaux managériaux autour de valeurs crédibles et mobilisatrices pour tous ?

Des repositionnements sont à prévoir et les leaders du secteur banque-assurance seront plus exposés au risque d'image que leurs challengers qui pourraient tenter des opérations inédites, sinon agressives, d’acquisition de nouveaux clients. Un travail de redéfinition ou d’approfondissement des valeurs va s’imposer avec une posture fondamentale forte : authenticité et sincérité. Mais préempter ce genre de territoires de communication — en interne comme en externe — impose de les fonder sur des actions concrètes. Plus que jamais, il va falloir apporter la preuve de ce que l’on dit ! Plus que jamais, il va falloir utiliser la pédagogie comme mode relationnel privilégié, plus que jamais les directions de la communication devront travailler avec les directions RH… en confiance.
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Adieu confiance… Bonjour défiance

par Jean Laloux & Charles Muller

La confiance est un ingrédient aussi immatériel qu’essentiel au bon fonctionnement de l’économie et à la fluidité des échanges sociaux (des biens et des idées). Confiance dans l’avenir, confiance dans ses dirigeants politiques, confiance dans les dirigeants de son entreprise, confiance dans les partenaires sociaux, confiance en ses voisins, confiance dans son système éducatif… Mais la confiance ne se décrète pas ! C’est une disposition psychologique qui se nourrit de transparence, de pédagogie, de sincérité, de recherche d’équilibres entre les pouvoirs, entre les ressources, entre les chances de réussite scolaire et professionnelle.

De Charybde en Silla
Après la crise financière et ses conséquences, dont nous n’avons encore rien vu, l’affaire de fraude de Bernard Madoff, ancien dirigeant du Nasdaq de New York, poursuit la longue chronique nécrologique de la confiance.
On parle souvent de perte de confiance. Pardon ! La confiance ne s’est pas égarée, elle n’a pas été oubliée dans les plis de nos perceptions et de nos motivations, elle n’est pas un objet mental posé là et que nous retrouverons bientôt intact. Non. Brisée, cassée ; la confiance en rupture de ban. Comme dans un couple, la confiance existe ou n’existe pas. Et nous sommes à l’évidence dans une phase d’éclipse.

Des retrouvailles qui ne sont pas pour demain
Après la fracture sociale et la fracture numérique, voici venu le temps de la fracture éthique. Nous entrons dans l’ère de la suspicion généralisée : le citoyen suspecte la banque, qui suspecte l’Etat, qui suspecte les investisseurs et les actionnaires, qui suspectent l’entreprise, qui suspecte ses salariés et ses fournisseurs, etc.
Cette « crise » de confiance risque fort de s’amplifier dans les mois à venir. Peu de chance en effet que les données objectives offrent un terrain favorable à l’expression d’un sentiment de confiance…

Dans La société de défiance, publié en 2007 aux éditions Rue d’Ulm, Pierre Cahuc et Yann Algan ont analysé les mécanismes par lesquels le déficit de confiance, consubstantiel selon eux au modèle social français, constituait un puissant inhibiteur de croissance, d’innovation et de vitalité du lien social.
Quelques années auparavant, Alain Peyrefitte écrivait déjà dans La société de confiance (éd. Odile Jacob, 1995) : La société de défiance est une société frileuse, gagnant-perdant : une société où la vie commune est un jeu à somme nulle, voire à somme négative (si tu gagnes, je perds) ; société propice à la lutte des classes, au mal vivre national et international, à la jalousie sociale, à l’enfermement, à l’agressivité de la surveillance mutuelle. La société de confiance est une société en expansion, gagnant-gagnant, une société de solidarité, de projet commun, d’ouverture, d’échange, de communication.

En attente d'un sauveur qui ne viendra pas
En France, le problème est que l’intensité du niveau de défiance entre acteurs privés porte toujours plus à pousser le curseur de la confiance vers l’Etat dont, culturellement, nous attendons déjà beaucoup (trop) et qui n’en peut plus. Mécaniquement, les frustrations produites par d’inévitables déceptions amplifieront à leur tour la défiance et continueront à miner la confiance pourtant si nécessaire au fonctionnement « raisonnable » d’une société.

Le champ lexical actuel de la défiance va de la circonspection et de la suspicion à la désespérance en passant par l’écœurement et la crainte. Des dispositions fort peu réjouissantes…
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lundi 24 novembre 2008

Les mots de la crise — Les médias en ont-ils trop fait ?

Etude Inférences n°1 téléchargeable ici

Cette première étude d’Inférences inaugure une série d’analyses consacrées au rôle du langage, de la culture et de l’identité dans le monde économique. Deux autres travaux sont déjà programmés : le premier, sur les valeurs des entreprises françaises; le second, sur le discours «développement durable» relayé par les entreprises et certaines institutions. L’objectif de ces études est de produire un décryptage en profondeur des comportements, discours et états d’esprit structurant aujourd’hui les représentations des acteurs économiques. Elles s’attacheront en outre à montrer le rôle central joué par le langage dans les stratégies de communication des entreprises.



10 titres de presse retenus (Les Échos, Le Figaro, Libération, Le Monde, La Tribune ; L’Express, Marianne, Le Nouvel Observateur, Le Point, Stratégies) ; 436 articles (1,76 million de signes) passés au crible : le cabinet Inférences s’est intéressé au discours des médias sur la crise financière.

Des registres discursifs qui vont de la dramatisation à l’appel à la morale
Analyse du discours médiatique sur la crise financière, cette étude répond à 3 questions :
• Qui sont les gagnants et perdants de la crise en termes d’image dans l’opinion ?
• Quelles sont les qualifications dominantes des événements ?
• Les médias en ont-ils trop fait, comme certains le leur ont reproché ?
Le décryptage des procédés discursifs a permis d’identifier une importante polymorphie des qualifications de la crise, et révélé trois champs lexicaux récurrents alimentant le discours médiatique :
• Champ lexical métaphorique : images désignant la crise sans la nommer (chaos, climat, médical) ;
• Champ lexical psychologique : émotions associées à la crise (peur, inquiétude, panique, incertitude, colère…) ;
• Champ lexical axiologique : valeurs (idéologiques, morales) convoquées pour juger la crise.
Enfin, le relevé des relations sémantiques dans lesquelles sont pris des mots comme banque, patron, Etat, marché, a dévoilé un jeu des connotations confirmant la dégradation de l’image des acteurs privés au bénéfice de celle des acteurs publics.

Des médias autant dans l’emphase qu’à l’écart des idéologies
Les médias en ont-ils trop fait ? La question a été posée par Le Monde (« Les médias parlent-ils trop de la crise ? », 13 octobre 2008), à la suite des réactions de lecteurs ou d’observations de site Internet (Les Econoclastes, Arrêts sur images). Aux deux critiques adressées — les médias alimentent la panique au lieu de la conjurer ; les médias font le procès du capitalisme et du libéralisme —, cette analyse répond que si l’usage d’un vocabulaire « superlatif » et de métaphores dramatisantes donne en effet parfois le ton, et vont incontestablement au-delà de la description brute des faits, cet usage est néanmoins cohérent avec une situation que tout le monde s’accorde à décrire comme d’une extrême gravité. Sur le terrain idéologique, la crise a été le plus souvent perçue comme celle d’un système (33e rang des substantifs les plus souvent cités) alors que le mot capitalisme n’apparaît qu’en 118e rang, et le mot libéralisme en 793e ! L’interprétation idéologique de la crise n’est donc pas prépondérante. La crise est avant tout celle de la banque (1re rang), grande perdante médiatique pour laquelle la perte de confiance constitue le moteur de l’altération de l’image.
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lundi 3 novembre 2008

Crise et retour aux fondamentaux

par Jean Laloux & Charles Muller

Dans Le Figaro, un intéressant entretien avec Jean-Christophe Alquier (président de l'agence Harrison & Wolf, filiale de TBWA France) : "Tout discours sorti du chapeau pour répondre à la conjoncture serait peu crédible. Les entreprises doivent, au contraire, revenir aux fondamentaux de leur communication en répondant à trois questions : au nom de quelles valeurs exercent-elles leur activité ? Quelle fonction remplissent-elles sur leur marché ou dans la société ? Et quels sont leurs moyens pour contrôler l'impact et limiter les risques de leur activité ? «Valeur», «fonction» et «contrôle», c'est bien autour de ces trois axes que Nicolas Sarkozy a articulé ses prises de parole sur la crise. Et pour cause, c'est ce qu'attendent les salariés, les clients et les investisseurs. Il y a un «contrat social» entre l'entreprise et ses différents publics, il faut le réexprimer."
Ce « contrat social » évoqué par Jean-Christophe Alquier ne date évidemment pas d’hier. La place occupée par l’entreprise dans la société d’aujourd’hui lui a imposé, de longue date, des modes de représentation et de fonctionnement qui s’inscrivent en effet davantage sous le signe du « contrat » passé avec ses différentes parties prenantes que sous celui de l’indépendance à leur égard. Liens renforcés certes, mais qui iront désormais certainement plus loin encore, notamment en matière d’éthique. Ainsi, les notions d’engagement, de crédibilité et de confiance ont de beaux jours devant elles et constitueront, sans doute pour longtemps, le nouvel horizon pragmatique de l’entreprise. Sur les fondamentaux, le cadre de réflexion et d’action délimité par la vision, la mission, les promesses et les valeurs de l’entreprise peut continuer à s’appliquer pertinemment : la « vision » du chef d’entreprise comme source de toute stratégie, « la mission » professionnelle et sociétale de l’entreprise comme affirmation de son savoir-faire et de son savoir-être, « les promesses » faites aux différentes parties prenantes (du client à l’actionnaire en passant par le salarié) et enfin « les valeurs » auxquelles s’adosse l’identité profonde de l’entreprise.
Nous publierons prochainement une étude sur les valeurs des entreprises françaises. Un état des lieux que nous mettrons en perspective avec les effets probables de la crise sur l’évolution des positionnements culturels et des stratégies de communication, externes comme internes.


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dimanche 28 septembre 2008

Mensonges électroniques

par Charles Muller

Le courrier électronique nous inciterait-il à mentir ? C’est ce qu’ont suggéré trois chercheurs (Liubia Belkin de l’Université Lehigh, Terri Kurtzberg de l’Université Rutgers et Charles Naquin de l’Université DePaul), en rendant compte de leurs travaux au dernier congrès annuel de l’Académie du management (États-Unis). Les chercheurs ont fait participer 48 étudiants MBA à un jeu dit de l’ultimatum : un joueur disposant d’une certaine somme propose son partage à un autre joueur, lequel doit accepter ou refuser. En l’espèce, les étudiants se voyaient dotés d’une somme de 89$ à partager ; et le bénéficiaire virtuel savait seulement que cette dotation se situait entre 5 et 100$. Belkin et ses collègues ont donné le choix entre deux formes de communication écrite (e-mail ou papier) pour proposer le partage. Résultat : dans 92% des e-mails, les étudiants ont menti sur la somme totale à partager ; ce ne fut le cas que dans 64% des écrits traditionnels. «Ces résultats convergent avec notre précédent travail montrant que la communication électronique tend à diminuer la confiance et la coopération dans les groupes de travail professionnels, et à augmenter la négativité dans les évaluations, souligne Terri Kurtzberg. Les gens semblent estimer qu’il est plus justifié de servir ses intérêts personnels quand ils tapent sur un clavier plutôt qu’ils n’écrivent».

L’étude des chercheurs, intitulée « Online communication and social dilemmas: How communication media influences interpersonal trust, cooperative behavior and perceptions of fairness », doit paraître prochainement dans le journal Social Justice Research.
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vendredi 26 septembre 2008

«Les mots de la crise»

par Charles Muller

Dans Le Monde paraît un éditorial intitulé « les mots de la crise ». : «Aux Etats-Unis en premier lieu, mais par ricochet dans tous les pays, c'est une redoutable crise de confiance qui menace - en témoignent les doutes et le scepticisme que suscite le gigantesque plan de sauvetage bancaire annoncé par le gouvernement américain il y a quelques jours. Qui peut enrayer cette défiance ? Certainement pas, à ce stade, les principaux acteurs économiques, encore moins financiers, qui n'ont su ni mesurer ni maîtriser la folie des marchés - quand ils ne leur ont pas prêté la main.
Restent les factotums de la vie publique : les responsables politiques. Décriés, le plus souvent soupçonnés d'être des rhéteurs sans pouvoir, ils retrouvent là l'occasion de démontrer leur utilité. Mais le risque est évident. S'ils ne parlent pas, leur silence sera jugé coupable. S'ils parlent, le doute s'insinue immédiatement : quelle prise ont-ils réellement sur la crise ? George W. Bush vient de se livrer à l'exercice, sur un mode alarmiste, voire dramatique, sans craindre d'évoquer "une récession longue et douloureuse".
Toutes proportions gardées, le défi est le même pour Nicolas Sarkozy, qui devait s'exprimer à Toulon jeudi 25 septembre : trouver les mots pour éviter que l'inquiétude ne se transforme en "panique" (dixit G. W. Bush) ; mais sans laisser croire aux Français que la crise est sous contrôle, puisque rien ne permet, pour l'heure, d'affirmer qu'elle l'est.
Bref, le président de la République doit, autant que possible, rassurer sans endormir, expliquer sans affoler, reconnaître les limites de son pouvoir sans accentuer la défiance sur sa réalité même.»

Intéressant constat : au moment où l’économie mondiale suspend son vol, où plus grand monde ne s’y retrouve sur les fondamentaux et leur signification réelle, tout est dans les mots. Non parce que le langage suffit, comme par magie, à conjurer le sort. Mais parce qu’une description correcte de la réalité présente et un sens précis de ses évolutions futures redeviennent les conditions de base de la lucidité et de la confiance.
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dimanche 21 septembre 2008

Entreprises et contextes politiques

Dans la Financial Review, Amir Rubin (Université Simon Frazer, EtatsUnis) a analysé le rapport entre les entreprises et le contexte politique. Prenant les résultats des élections présidentielles de 2004, il a dressé une carte des convictions politiques majoritaires (démocrates ou républicaines) des Etats et comtés américains. Il a ensuite classé les entreprises selon la domiciliation de leur siège et leur niveau d’engagement en responsabilité sociale (corporate social responsibility : CSR — RSE en version française : Responsabilité sociétale des entreprises). Résultat : les entreprises à haut CSR sont plutôt localisées en zone démocrate, les entreprises à bas CSR en zone républicaine. « Cela suggère que les vues politiques jouent un rôle dans les prises de décision de l’entreprise, conclut Rubin, et représentent une part importante dans sa conduite pour maximiser la valeur ».
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samedi 13 septembre 2008

Respectez-vous les maximes de Grice ?

par Charles Muller

Dans un texte aujourd’hui classique paru en 1975, le philosophe Paul Grice a proposé quatre maximes pour analyser la valeur du langage :
  • Maxime de quantité : rendez votre contribution aussi informative que nécessaire pour les besoins de l'échange, évitez le surplus d'informations ;
  • Maxime de qualité : ne dites pas ce que vous pensez faux, ni ce pour quoi vous manquez d'éléments de preuve ;
  • Maxime de relation : soyez pertinent par rapport au contexte de la discussion ;
  • Maxime de modalité : soyez concis et clair, évitez les expressions obscures ou ambiguës.

La maxime de quantité concerne l’information, celle de qualité la vérité, celle de relation la pertinence (à l’égard du contexte) et celle de modalité la clarté (vis-à-vis du destinataire).

Cause toujours… tu ne m’intéresses plus
Grice s’inscrivait dans le courant dit de la pragmatique dont l’enjeu est le décryptage des critères de performance communicationnelle de nos conversations ordinaires. Mais à l’évidence les réflexions du philosophe concernent tout aussi bien le langage de l’entreprise. Que ce soit dans la communication interne ou externe, rares sont les discours ou écrits d’une entreprise qui obtiennent de bons scores dans les quatre maximes simultanément. Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de relire attentivement un courrier de réponse à une réclamation client ou une note interne :
  • Violation de la maxime de modalité : utilisation de jargons métiers opaques aux non-initiés ou d’un registre inapproprié au destinataire (ton administratif, comminatoire, autoritaire…)
  • Violation de la maxime de relation : des développements hors contexte parfois malvenus (une démarche commerciale alors que le client attend d’abord la résolution de son problème),
  • Violation de la maxime de qualité : des informations qui contredisent la perception intuitive du destinataire sans pour autant expliquer ni argumenter (le client est ravi d’apprendre que tout est normal mais son problème n’est concrètement toujours pas résolu),
  • Violation de la maxime de quantité : des explications lapidaires ou au contraire des développements aussi abondants qu’inutiles (le client se moque de savoir que le service technique a dû mobiliser ses ressources sur une machine qui jusqu’alors avait donné toute satisfaction…)

Le langage de l’entreprise à l’épreuve du quotidien
Curieusement, les entreprises — et tout particulièrement les Directions de relation clients — accordent encore peu d’importance à ce genre d’observation sur leur propre langage et la manière de construire et de conduire leur relation. Pourtant le langage est le premier vecteur de l’information, quels qu’en soient le support et la cible. A l’âge de l’économie cognitive, du knowledge management et du capitalisme de la connaissance, l’outil fondamental des échanges (notre langage) est le dernier auquel on pense quand il s’agit d’optimiser, de valoriser ou d’innover. On conçoit volontiers qu’un nom de marque ou de produit, qu’une signature, qu’un slogan publicitaire ou un discours de direction soient importants. Mais ce langage ordinaire qui constitue pourtant 95% des échanges internes et externes de l’entreprise est encore largement laissé en friche.

Référence :
Grice, H.-P. (1975), Logic and conversation, in Cole, P. and Morgan, J. (ed), Syntax and semantics, 3, 41-58, New York, Academic Press.
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lundi 1 septembre 2008

Clara, Anna, Béa et les autres : la relation client à l'âge virtuel

par Charles Muller

Connaissez-vous Clara, Louise, Anna, Béa ? Elles ont fait leur apparition sur Internet ces dernières années. Non, ne cherchez pas du côté des blogs, des pages musicales de MySpace, des profils de FaceBook. Ces jeunes filles sont des créatures purement virtuelles, que l’on appelle des « agents conversationnels ». La société VirtuOz est spécialisée dans leur conception. Ces conseillères de pixel ont pour fonction d’aider les visiteurs des sites commerciaux (ou autres) dans leurs requêtes, en lieu et place des foires aux questions (FAQ), mais aussi des mails et des requêtes téléphoniques. Leurs avantages : elles sont censées comprendre le langage naturel de l’internaute ; elles sont disponibles 7 j / 7 et 24 h / 24. Et souvent, cela fonctionne. Selon Lamia Barbot (Les Echos), les mails sur site auraient chuté de 90 % depuis l’entrée en fonction d’Emma, conseillère virtuelle des MMA. Et Anna d’Ikéa entretient 4000 conversations par jour : une chargée de clientèle qui ne connaît pas les 35 heures !

Bien sûr, la technologie est perfectible. Plusieurs problèmes semblent se poser, si l’on en juge par quelques tests. Exemple : l’imprécision. Quand je dis à Clara (FNAC) « Je cherche un appareil numérique », elle m’adresse vers une page à 1367 choix possibles, au lieu de me demander une précision sur « appareil ». Autre écueil : certaines questions non prévues. Louise, sur Voyages SNCF, se déclare soudain « actuellement indisponible » quand je lui demande « Puis-je réserver pour mon fils ? ». L’orthographe peut être problématique. Anna d’Ikéa comprend quand je fais une faute sur « fauteuille », cale à « bibliotek », mais réussit à « bibliotèque ». En revanche, sur certaines requêtes précises (« Je cherche une table en marbre »), elle a le même problème que Louise et me renvoie à des tickets de réduction.

D’un point de vue technique, la programmation des agents conversationnels est évidemment une gageure. Elle fait appel à des équipes pluridisciplinaires d’informaticiens, linguistes, psychologues et chercheurs en intelligence artificielle. Le problème est de décomposer les éléments syntaxiques et sémantiques d’une proposition pour en extraire le sens pertinent. Le langage dit ordinaire ou naturel n’a rien d’une langue formelle parfaitement logique. Il est plein d’ambiguïtés et d’obscurités qu’un interlocuteur humain lève aisément selon le contexte, mais qu’une machine doit analyser pour sélectionner le sens le plus probable.

Fort heureusement, l’Internet représente une opportunité formidable pour ces agents intelligents, en raison du nombre massif des requêtes et de la possibilité d’en faire un traitement quantitatif, puis qualitatif. C’est ainsi que fonctionnent les moteurs de recherche : à force de recevoir des demandes, leurs algorithmes calculent de plus en plus finement la probabilité que tel ou tel objet (site) soit concerné. Voilà pourquoi on trouve généralement ce que l’on cherche dans les dix premiers résultats de Google. Du point de vue informatique, l’enjeu est alors de produire des agents adaptatifs (modèle des algorithmes évolutionnaires ou des automates cellulaires) capables d’apprentissage.

Un peu d’histoire. Le mathématicien anglais Alan Turing (1912-1954) est généralement considéré comme le père de l’informatique. Dans un article rédigé en 1936 (On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem : sur les nombres calculables avec une application au problème de la décision), il répond à un problème mathématique posé par son collègue Hilbert. Au cours de la démonstration, il pose le principe d’une « machine universelle » capable d’opérer tous les calculs. Turing travaillera ensuite à diverses applications, comme le décryptage des codes secrets nazis (Enigma) et le codage des voix. Le mathématicien participe avec d’autres (von Neumann, Shannon, Mccarthy, Minsky) à la création de l’intelligence artificielle.

Dans un autre article resté célèbre (Computing machinery and intelligence, 1950), Alan Turing propose le test qui porte son nom. Celui-ci est simple : un individu est dans une pièce, et discute avec un autre dans une pièce adjacente, par messages interposés. Ils ne se voient pas. Turing pose : quand on pourra remplacer un des deux individus par une machine, et que l’autre ne s’en apercevra pas au terme de la discussion, nous serons en présence d’une véritable intelligence artificielle. L’idée sous-jacente est que le langage est la principale expression de la pensée humaine : simuler parfaitement ce langage signifie simuler parfaitement la pensée. Peu importe qu’il s’agisse d’une « simulation » purement mécanique, pourvu que les énoncés produisent des significations et référents partagés avec les humains. On voit que Clara, Anna et Louise répondent à des enjeux anciens. Chaque année, le prix international Loebner organise un concours pour départager les meilleurs IA conversationnelles du moment (chatterbots). La récompense suprême de 100.000 $ sera attribuée (et le prix sera dissous) lorsqu’un chatterbot parviendra à tromper les juges. La compétition 2008 aura lieu le 28 octobre prochaine à l’Université de Reading.

L’avenir de la CRM Internet appartient-il aux agents conversationnels ? C’est probable en entrée de communication, pour les premières requêtes de l’internaute (les plus nombreuses). Mais viennent ensuite des impondérables, et notamment la psychologie humaine, qui n’est pas celle des machines. Si un client vient pour une réclamation ou un contentieux, l’idée d’être pris en charge par un robot ne place pas forcément la conversation sous les meilleurs auspices. Les conseillers virtuels peuvent se révéler contre-productifs dans certaines situations, et les conseilleurs humains ne vont pas disparaître de sitôt.
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samedi 30 août 2008

L'entreprise et... Dieu

par Charles Muller

Dieu a-t-il sa place dans l’entreprise ? Cette question déroutante fut l’un des débats de clôture de l’Université d’été du Medef, achevée hier, débat dont La Croix rapporte quelques propos. Au-delà de la religion, qui regarde les convictions personnelles de chacun, ce questionnement est un symptôme d’une interrogation plus large, plus multiforme, sur les responsabilités et les finalités de l’entreprise en dehors de ses fondamentaux économiques (profit, croissance). Contrepartie d’un monde de plus en plus ouvert et complexe, où l’information et la communication sont reines car elles signalent en temps réel l’évolution des idées, des motivations, des attitudes, des évaluations de chacun sur son milieu et son époque, les questions économiques sont de plus en plus souvent associées aux problématiques éthiques, sociétales, environnementales – et même spirituelles, parfois, comme le suggère le débat du Medef. Cela signale une logique croissante de contextualisation, c’est-à-dire d’insertion de l’économie dans les autres grandes questions humaines. Du fait de son importance dans la vie personnelle et sociale, l’entreprise est jugée sur ce qu’elle fait et dit, sur sa manière particulière de faire et de dire.
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jeudi 28 août 2008

Les jargons métiers sont des marqueurs culturels

par Jean Laloux

Dans un article de l’édition du 18 août 2008 de la newsletter de Keljob, Antoine Vlastuin rappelle avec raison que la « babélisation » de la communication en entreprise peut nuire à son fonctionnement. Cet éclatement des langages altère en effet la fluidité de la communication entre les métiers, voire entre les individus, et peut, par exemple, ralentir l’avancée de projets transversaux.

En d’autres termes, l’indifférence de l’entreprise à l‘égard de son langage a d’incontestables répercussions sur la productivité, mais aussi sur la cohésion sociale et la manière dont l’identité de l’entreprise est déclinée auprès des collaborateurs.

Si informaticiens, juristes, comptables, etc., se murent parfois dans leur jargon, c’est à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons. Les bonnes : un jargon est un langage dont la précision et la technicité permettent à des pairs de communiquer entre eux de manière efficace, en évitant d’inutiles périphrases ; les mauvaises : un jargon c’est aussi une manifestation de la culture d’un métier, d’une profession, d’une corporation, une manière de revendiquer un territoire linguistique, dont sont exclus les non-initiés, et souvent au détriment d'une culture commune partagée.

Etablir des glossaires, veiller à ce qu’un même produit ou un même process soit qualifié par tous de manière identique, s’attacher à ce que la communication vers toutes les parties prenantes soit lexicalement homogène constitue quelques bonnes pratiques qui sont bien loin d’être toujours appliquées.
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mardi 26 août 2008

80/20

par Charles Muller

L’économiste et sociologue italien Vilfredo Pareto a mis à jour une loi empirique de distribution dans le monde économique : 20 % des clients rapportent 80 % du chiffre d’affaires. Et 20 % des clients représentent aussi 80 % des réclamations – mais ce ne sont généralement pas les mêmes. La loi a été vérifiée ailleurs : 20 % des citoyens représentent 80 % des revenus fiscaux (car ces 20 % détiennent 80 % des ressources économiques), par exemple. Le marketing et le management utilisent souvent cette distribution des 80/20 dont la robustesse a été amplement testée, même si elle n’est pas universelle bien sûr, puisqu’il existe d’autres distributions statistiques.

Et dans le langage ? On peut supposer à titre d’hypothèse que 20 % des messages émis donnent 80 % des informations indispensables au sein de l’entreprise. Il est évidemment intéressant de se concentrer sur ces informations utiles, ne pas perdre de temps, d’énergie ni d’argent avec du bruit, des données parasites n’ajoutant rien à la compréhension.

Le problème : le langage « parfait » n’existe pas, toutes nos propositions de la langue ordinaire contiennent des équivoques, des ambiguïtés, des présupposés, des polysémies. Il faut beaucoup parler ou écrire pour être absolument sûr d’être bien compris. D’où l’importance d’un travail sur le langage commun au sein de l’entreprise. Et particulièrement du langage écrit : mail, courriers, présentations, rapports. À l’oral, dans un rapport direct de discussion ou de réunion, nous levons en effet les équivoques plus facilement et plus rapidement. À l’écrit, la pensée doit être formalisée de manière plus concise, plus expressive, la frappe est plus lente que la parole, et l’interlocuteur est distant : on ne dispose pas des atouts de la communication directe, verbale ou non-verbale.
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jeudi 21 août 2008

Quand le texte domine encore le son et l'image...



Selon Les Echos et l’Interactive Bureau Advertising, les investissements publicitaires dans l’internet, au premier semestre 2008 en France, dépassent désormais ceux de la radio.
  1. Presse : 3,821 M€ (+ 4,3 %)
  2. Télévision : 3,799 M€ (+ 1,8 %)
  3. Internet : 1,828 M€ (+38,1 %)
  4. Radio : 1,649 M€ (+ 3,2 %)
On avait annoncé la fin la Galaxie Guteneberg (texte) au profit de la Galaxie McLuhan (son, image). Mais il est intéressant de noter que la presse écrite est toujours la première cible de l’investissement publicitaire. Et que l’Internet, qui reste un média à dominante écrite aujourd’hui, surgit pour bousculer cette évolution pressentie des outils d’information et de communication.
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Langues, gestes et énoncés

par Charles Muller

Susan Goldin-Meadow et ses collègues viennent de réaliser une expérience intéressante : 40 sujets de langues différentes (anglo-saxonne, chinoise mandarin, espagnole et turque) ont observé des vidéos. Ils devaient ensuite exposer le contenu des actions de cette vidéo par la parole, puis par les gestes. Or, en communication purement gestuelle, l’ordre de l’exposé a toujours été sujet-verbe-objet (SVO) – par exemple « enfant achète glace ». Mais dans les langues parlées, notamment le turc, cet ordre peut être différent (sujet-objet-verbe). Il semble donc que l’énoncé SVO correspond à une représentation fondamentale de la réalité par l’esprit, les diverses grammaires (ou créations littéraires, poétiques, etc.) ayant là-dessus créé une diversité culturelle d’expression.
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vendredi 15 août 2008

Entreprises : pourquoi des valeurs ?



Certaines entreprises se dotent depuis quelques années d’une « charte des valeurs ». Simple effet de mode ? On peut en douter. L’attribution de valeur est le propre de tout humain et de tout groupe humain : valoriser, cela signifie tout simplement exprimer des préférences, faire des choix. C’est vrai des groupes politiques, comme la devise « liberté, égalité, fraternité » de notre République. C’est vrai des groupes religieux, chaque spiritualité développant des hiérarchies de valeurs adressées aux croyants.

Dans le domaine économique, on pourrait penser que les valeurs sont inutiles, ou plutôt qu’elles sont entièrement dictées par l’activité économique elle-même : la profitabilité, la productivité, la compétitivité. Mais il n’en est rien. Une entreprise n’est pas seulement une réalité économique, c’est d’abord une réalité humaine : un groupe humain qui coopère, en vue d’un certain but, dans un certain domaine, en compétition avec d’autres groupes humains (d’autres entreprises). L’entreprise est aussi une réalité historique et culturelle : elle a un passé, des mythes fondateurs, des hauts faits, elle possède un domaine d’excellence dans certaines pratiques données, elle se développe dans un contexte particulier qui possède ses codes.

Les valeurs d’une entreprise remplissent trois fonctions :
Identification : elles donnent aux collaborateurs comme aux partenaires de l’entreprise des axes de comportement et de réflexion définissant une certaine identité.
Différenciation : en posant l’identité, elles définissent la singularité d’une entreprise par rapport à ses concurrentes dans le même secteur d’activité.
Motivation : elles forment des repères et des règles de conduite donnant du sens au travail individuel et collectif au sein de l’entreprise.

Expression du savoir-être et du savoir-faire de tout groupe humain, les valeurs ont donc naturellement leur place dans l’entreprise. Et ce d’autant plus que le travail occupe un rôle central dans la vie moderne et que l’économie est au cœur des préoccupations collectives.
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jeudi 14 août 2008

La force des mots observée... dans notre cerveau

par Charles Muller

Quand nous observons une personne éprouver du dégoût, du plaisir ou de la souffrance, une petite région du cerveau s’active : l’insula antérieur et l’opercule frontal adjacent, l’ensemble étant appelé IFO. Mais que se passe-t-il quand nous regardons un film ou lisons un texte exprimant ces sensations ? Mbemba Jabbi et ses collègues (Université de Groningen, Pays-Bas) ont réalisé un scanner IRM sur 12 volontaires pour le savoir : ceux-ci goûtaient un produit répulsif (quinine), regardaient une vidéo ou lisaient une histoire impliquant du dégoût. Résultat : les trois expériences activaient de la même manière l’IFO. « C’est la raison pour laquelle les films ou les livres marchent, note un co-auteur de l’étude, Christian Keysers. Ils simulent l’aire de notre cerveau impliqué dans ce que cela fait réellement d’être dégoûté ».

Cette expérience intéressante montre que nos sensations et émotions fondamentales sont activées de la même manière par la vision, un sens très ancien, et par l’écriture, une invention très récente (à l’échelle de l’évolution bien sûr). La force des mots est inscrite dans nos cerveaux.

Référence : Jabbi M. et al. (2008), A common anterior insula representation of disgust observation, experience and imagination shows divergent functional connectivity pathways, PLoS ONE, 3(8): e2939, doi: 10.1371/journal.pone.0002939
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mercredi 30 juillet 2008

GDF-Suez : un choc des cultures ?

par Charles Muller

Selon une dépêche Reuters, « le mariage de Gaz de France - qui était contrôlé par l'Etat - et du groupe privé Suez a eu lieu officiellement mardi après deux ans et demi de fiançailles, donnant naissance à un nouvel ensemble dont les activités gazières et électriques sont complémentaires. Il devrait générer un milliard d'euros de synergies opérationnelles à l'horizon 2013. Alors que les analystes financiers saluent la pertinence de l'opération au niveau géographique et des activités, certains estiment que la direction bicéphale du nouvel ensemble est intenable et que les différences culturelles rendront difficile la génération de synergies supérieures à l'objectif affiché. »

Il est intéressant de constater que les différences culturelles (culture du privé versus culture de l’Etat, culture généraliste de l’énergie et de lenvironnement contre culture spécialiste du gaz) sont d’ores et déjà perçues comme un obstacle à l’activité économique et à la valorisation financière. On en déduit que lors des travaux préparatoires de la fusion, qui ont duré plusieurs années, ces divergences culturelles n’ont pas été envisagées. Ou bien qu’elles ont été considérées comme inévitables. Ou encore comme secondaires. Trouver un langage commun, une culture commune, des valeurs communes ne semble pas posé comme un préalable en regard d’une logique économique et financière prévalente. On en voit finalement les conséquences : les analystes financiers ne se contentent plus de regarder la réalité des chiffres, mais aussi bien celles des hommes. Ce ne sont pas seulement les fondamentaux financiers qui permettent d'évaluer l'avenir d'un groupe, mais aussi bien son intégration culturelle.
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samedi 26 juillet 2008

Langage et entreprise : quels enjeux ?

par Jean Laloux

Les rôles désormais assignés à l'entreprise excèdent ceux de la simple production de biens, de services et de richesses. Elle est tout à la fois invitée à « produire du sens », à jouer le rôle d'intégrateur social après l'effacement des corps intermédiaires, à être éthique, solidaire, citoyenne, responsable, transparente… Parallèlement, l'entreprise est détentrice d'une somme considérable d'informations aux vocations les plus diverses : informer, expliquer, intégrer, former, faire changer, manager, séduire, argumenter… Un capital immatériel qui irrigue les fondamentaux de ses savoir-être et savoir-faire, mais dont elle néglige bien souvent la portée. Qu'il s'agisse de son identité et de ses valeurs, de son organisation et de ses métiers, de ses produits et services, de ses offres et savoirs spécialisés, l'entreprise possède sur tous ces sujets des contenus souvent épars, parfois inutilement pléthoriques et presque toujours hétérogènes, sur la forme comme sur le fond. Or, gérer des contenus, c'est gérer du langage et du discours, et donc poser un certain nombre de questions : quelle prise de parole cohérente face aux différentes parties prenantes (collaborateurs, clients, actionnaires, fournisseurs…) ? Quelle stratégie de communication pour lever les malentendus, éviter la dilution des messages, prévenir les contresens, valoriser une identité ou une culture… ? Quelles stratégies de discours pour faire mieux communiquer les métiers et les collaborateurs entre eux ? Quelle communication RH pour attirer les candidats potentiels et fidéliser les nouveaux entrants ? Quelle architecture des contenus pour diffuser de manière sécurisée et efficace une information sensible ou stratégique ? Etc.

Des solutions entre stratégies de communication et de discours
Pour répondre à ces questions, l’entreprise doit identifier les risques lexicaux auxquels elle est exposée. Ils sont tout à la fois dissonances entre le discours et l’action, incommunicabilité des langages spécialisés et généralistes, techniques et métiers, concrets et abstraits, locaux et internationaux, standardisés et différenciés… Pour protéger l’entreprise de ces risques lexicaux, elle doit désormais considèrer le langage comme un levier de performance de sa communication externe et interne, de sa relation clients, de sa gestion des RH.
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mardi 15 juillet 2008

Relation clients : les enjeux de communication écrite

par Jean Laloux

Le Minefi a récemment décidé d’engager un programme de sensibilisation de certains de ses collaborateurs à la grammaire, à l’orthographe ainsi qu’à la maîtrise des fondamentaux de la syntaxe. Cette louable initiative m’inspire cependant des sentiments contradictoires.
D’un côté, l’Etat se soucie de la manière dont ses agents maîtrisent leur langue à l’écrit. Bravo. Il se soucie de la manière dont sont perçus ses contenus informatifs et épistolaires. Encore bravo. Mais que révèle cette initiative, en apparence si sympathique ? Au vrai, deux choses : que le niveau de maîtrise de la langue dans les institutions est tout simplement dramatique ; que le milieu professionnel pallie l’échec retentissant d’un mode d’apprentissage de la langue dès le plus jeune âge.

Cette déconfiture, qui fait les beaux jours des formateurs en orthographe et en grammaire, affecte bien évidemment l’ensemble de la société comme elle affecte la communication des entreprises.

Amusant ou inquiétant ?
Me revient une anecdote vécue lors d’une mission chez un FAI. Les conseillers devaient, dans le cadre de la gestion de la réclamation clients, sensément transmettre les valeurs de l’entreprise à travers leurs discours écrit et oral. Exercice difficile, mais possible, qui exige une relative contiguïté avec les mots et leur sens. C’était évidemment sans compter l’adoption par certains collaborateurs du langage texto comme mode d’expression écrite ! C’est ainsi que des prouesses orthographiques insoupçonnées ont pu être découvertes. Par exemple, « il faut », orthographié « il fo » ! Ou comment ruiner les efforts d’une entreprise qui souhaite diffuser vers ses clients un positionnement, une identité singulière et des valeurs via un des points de contact les plus sensibles et les plus stratégiques avec le client. La gestion de la réclamation.

De la déploration au pragmatisme ou la fin de l’illusion de beau style

Trêve de lamentations inutiles, l’essentiel est ailleurs. La disparité du niveau de maîtrise de langue entre les individus ne date pas d’aujourd’hui, et le meilleur système d’apprentissage du monde n’y changera rien — ou pas grand-chose.

Du point de vue qui nous occupe, il y a plus intéressant. S’interroger sur la mise en place d’outils pérennes pour accompagner au quotidien les collaborateurs de l’entreprise en charge de la relation écrite clients. Objectif : exiger le plus haut niveau de qualité compatible avec des volumétries de traitement qui nous rapproche davantage de l’industrie — fût-elle tertiaire — que des salons de Mme de Sévigné.

La transaction langagière, support de la transaction commerciale

Les entreprises mesurent-elles toujours l'importance du langage dans la gestion leur relation client à l'écrit comme à l'oral ? La réponse varie selon les entreprises et les secteurs. Automobile, banque et assurance ne brillent pas par la proximité et l’empathie manifestées, alors même que la gestion des risques (médiatiques, juridiques, commerciaux) dans la réponse apportée au client n’est pas toujours parfaitement sécurisée. Gageons que la croissance très rapide de la gestion de la réclamation par mail ne va rien arranger…

Un enjeu de traduction d’identité

La préservation de l'image d'une entreprise passe, entre autres, par des critères d'expression écrite et orale. Les entreprises sont ainsi de plus en plus nombreuses à chercher à valoriser la qualité de leur contenu et de leurs discours en vue d’en faire un véritable levier de différentiation et de fidélisation.

Des solutions de bons sens… et de spécialistes du langage
Certains actes de langage qui relient l’entreprise à son client expriment une question ou une demande, d'autres une confirmation ou une réponse, d'autres encore une intention (promesse, menace), un désir ou un besoin (demande, ordre, prière), un plaisir (accueil d'un nouveau client, accord à une demande). Pour se repérer et trancher entre différents choix d'énonciation, des classifications permettent de sélectionner des actes de langage ad hoc.
Informer le client d'une décision ou d’une nouvelle offre de service ; lui expliquer le fonctionnement d'un produit, la présentation d'une facture ; le rassurer en cas de non-satisfaction ; s'excuser en cas d’erreur ou de dysfonctionnement responsable ; fidéliser le client churner ou celui qui manifeste l’envie d’aller voir ce qui se passe du côté de la concurrence, etc. Dans toutes ces situations de communication, le choix des mots, des formulations, des modalisations traductrices d'empathie, d'implication et de personnalisation sont décisives. Or, quel est le constat ? En dehors du terme d'accueil (Madame, Mademoiselle, Monsieur, Bonjour pour le mail) et une formule de politesse souvent inadaptée au contenu de la réponse, la structure et la syntaxe des courriers et des mails, comme des échanges téléphoniques, exige le plus souvent d'être revisitée, voire tout simplement définie.

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur…
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jeudi 3 juillet 2008

Identité d’entreprise et ADN : une analogie contestable

par Jean Laloux

Lors d’un événement organisé par une entreprise cliente pour son encadrement et une partie de ses collaborateurs, il m’a été demandé de présenter la démarche par laquelle Inférences a défini une nouvelle identité en vue d’un repositionnement de marque,

Au moment des questions, la comparaison entre identité et ADN a immanquablement surgi, me donnant une belle occasion de revenir sur cette analogie aussi facile qu’inexacte.

L’identité au gré des évolutions de l’entreprise
L’identité d’une entreprise — comme celle d’une personne — est mouvante, labile et en devenir. La comparer à un ADN, c’est en avoir une représentation, certes structurante, mais figée, consistant à la définir comme une essence fondée sur des critères intangibles.

Or, l’identité est d’abord une substance dynamique, engagée dans une confrontation permanente avec tous les changements qui peuvent affecter l’entreprise : structurels, organisationnels, liés à une fusion-acquisition, à des rachats successifs, aux stratégies de diversification ou au contraire de reconcentration sur des cœurs de métier…

L’identité de l’entreprise est donc évolutive et varie au gré des attentes des clients, des tendances de fond de la société civile, des aspirations de toutes ses parties prenantes….

Un jeu de perceptions
Il existe bien sûr des marqueurs de l’identité qui permettent à l’entreprise de penser, d’agir, de tracer des lignes directrices, de donner des orientations, bref de véritablement manager par l’identité. Ces marqueurs sont à rechercher dans la vision des dirigeants, dans les missions et les engagements de l’entreprise, dans les contrats relationnels passés implicitement avec les parties prenantes. Néanmoins, la nature intrinsèquement évolutive de ces marqueurs interdit de les comparer à un hypothétique ADN de l’entreprise.

In fine, aborder l’identité d’une entreprise ce n’est pas rechercher des repères fixes et immuables. Mais bien plutôt suivre la transformation de ces repères dans le temps pour mieux garantir la singularité de l’entreprise prise dans un jeu complexe d’autoperception (identité souhaitée et vécue en interne) et d’alloperception (identité perçue à l’extérieur).

Si vous en doutiez encore, comparaison n’est pas — toujours — raison !
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