mardi 27 octobre 2009

LaboCom >3< Suicide au travail : une synthèse au-delà de l’actualité

Depuis plusieurs semaines, l’actualité pose de manière tragique la question du stress au travail et du suicide dans le cadre professionnel. Pour éclairer cette problématique sans pour autant désigner des responsabilités ou des culpabilités, comme l’émotion incite parfois à le faire, nous revenons sur un article de Jong-Min Woo et Teodor T. Postolache paru l’année dernière. Cet article qui présente l’avantage d’être une synthèse de la littérature existante sur le sujet (1). Les deux auteurs en sont psychiatres, l’un en Corée (École de médecine de l’Université Inje) et l’autre aux États-Unis (École de Médecine de l’Université du Maryland).

L’amour et le travail sont deux domaines de l’existence où les individus trouvent des accomplissements majeurs. Mais ce sont aussi deux domaines fréquemment associés à des facteurs de stress, dont certains représentent une menace pour la vie elle-même. Le milieu professionnel est spécifiquement associé au stress pour de nombreuses raisons : insécurité de l’emploi, mutations rapides du cadre de travail, compétition entre individus, services ou groupes, mobilisation cognitive intense. Cela peut entraîner des affections psychologiques (perte d’estime de soi, sentiment d’infériorité ou d’inutilité, peur de l’incertitude) manifestations psychosomatiques (par exemple insomnie, anxiété, dépression) ainsi que des conséquences professionnelles (désintérêt pour son travail, absentéisme, baisse de performance). Il est à noter que le chômage est lui aussi fortement associé aux troubles psychiatriques comme à la mortalité par suicide.

Une inégalité démontrée face au suicide
Les troubles de l’humeur sont répandus dans la population générale et représentent une perte importante de productivité dans le monde du travail. On estime ainsi que 4 à 10 % des employés souffrent de dépression caractérisée (épisode dépressif majeur), 1 à 2 % de trouble bipolaire. Les femmes sont deux fois plus concernées que les hommes. Le lien entre l’augmentation tendancielle du stress sur le lieu de travail et la hausse observée des dépressions et des suicides a été proposé par certains auteurs (Mausner-Dorsch et al 2000, Steven 2000, Melchior et al 2007), mais le rapport direct de causalité n’est cependant pas établi. Il a été montré que les taux de dépression et de suicide varient selon les types d’emplois, avec certaines professions à haut risque. Pour la dépression : service de santé, travail social, éducation, restauration ; pour le suicide, professions juridiques, dentistes, artistes, mécaniciens, garagiste, travail du bois (les taux de suicide les plus élevés s’observent cependant dans les professions ayant accès à une arme – police, armée – ou à des substances toxiques – personnel médical –, ainsi que dans le monde rural et agricole).

Les 6 causes possibles du suicide au travail
On peut classer dans six catégories les facteurs du milieu professionnel ayant un effet sur l’humeur et, potentiellement, sur le risque suicidaire
- Environnement chimique : le trouble est directement associé à une intoxication entraînant des perturbations neurales.
- Environnement physique : un éclairage de mauvaise qualité a des effets sur le fonctionnement cérébral (mélatoninergique, sérotoninergique) et peut être associé à des dysphories. Les expositions au bruit, à l’humidité ou à des variations thermiques sont des facteurs de stress reconnus.
- Environnement biologique : l’exposition aux virus, bactéries, parasites et agents allergènes affecte indirectement l’humeur.
- Environnement psychologique : il est bien sûr déterminant dans l’équilibre des individus. Plusieurs études longitudinales ont montré que le stress dans le cadre professionnel est un facteur de risque pour la dépression et l’anxiété, de même qu’une charge de travail excessive et des pressions extrêmes sur l’emploi du temps.
- Environnement social : les interactions de l’individu avec ses collègues et sa hiérarchie sont également déterminantes, selon qu’elles sont positives, neutres ou conflictuelles. On a montré que des rapports problématiques sont associés aux troubles de l’humeur et à la morbidité psychiatrique (suicide, mais aussi violence, menace, altercation, harcèlement sexuel).
- Travail posté et décalage horaire : les troubles du sommeil sont reconnus comme ayant un impact important sur la survenue de dépression, de trouble bipolaire et de suicide.

Que faire ?
Dans le cas du suicide en particulier, une étude prospective menée sur le suicide au travail au Japon (karo jistasu) montre que l’absence de soutien social des individus fragiles multiplie par quatre le risque de passage à l’acte, les autres facteurs déterminants étant une pression psychologique importante, une faible latitude de décision et un temps de travail élevé. Il est à noter que la moitié des victimes ont contacté un service médical pour des troubles non spécifiés, mais qu’aucun n’a bénéficié d’une consultation psychologique ni d’un traitement pour le stress, l’anxiété ou la dépression.
Comment rendre le milieu professionnel moins anxiogène et en dernier ressort moins morbide ? Chacune des six catégories évoquées peut faire l’objet d’un plan d’amélioration concertée. En outre, les Pr Woo et Postolache suggèrent plusieurs besoins communs et génériques : faire de l’amélioration des conditions de travail une priorité du management ; mener des évaluations régulières sur la base de critères partagés dans l’entreprise, et entreprendre les actions correctives si nécessaire ; associer un système de soin psychologique (les individus passent parfois plus de temps de veille au travail que chez eux) ; prévoir des programmes d’assistance pour les plus vulnérables ; développer le conseil et l’écoute (téléconseil ou présence d’un psychologue).

Au cœur de ces actions, la nécessité forte de donner du sens à l’action de l’individu au sein de sa communauté de travail et, bien souvent, de repenser la communication interne et managériale à nouveau frais.


Référence : Woo JM, TT Postolache (2008), The impact of work environment on mood disorders and suicide : Evidence and implications, Int J Disabl Hum Dev, 7, 2, 185-200.
(1) Merci au Pr. Postolache de nous avoir transmis son article.
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vendredi 23 octobre 2009

Entretien avec Pierre-Yves Raccah


Chercheur au Cnrs, Pierre-Yves Raccah est directeur de recherche à l’Université de Limoges et à l’Université de Paris 3 (Sorbonne-Nouvelle). Il est également membre du CeReS (Centre de recherches sémiotiques de Limoges), où il anime les recherches en sémantique. Dans cet entretien, il montre comment une approche réellement scientifique du langage permet de faire émerger les points de vue implicites des acteurs (représentations idéologiques sous-jacentes), mais aussi d’identifier les connaissances et savoir-faire pour mieux les conserver et les transmettre de manière optimale. Des enjeux centraux pour analyser et optimiser la communication d’entreprise, qu’il s’agisse de son identité corporate, de ses orientations stratégiques, de son marketing qualitatif ou du management de ses connaissances.

Vous êtes le concepteur d’une méthode d’analyse sémantique fondée sur les principes théoriques d’une « Sémantique des Points de Vue ». Votre expertise vous porte à considérer que le recours à la sémantique, notamment dans le domaine des études qualitatives, est le plus souvent usurpé. Vous considérez en effet que bon nombre d’acteurs de ce secteur font prendre à leurs clients des vessies pour des lanternes. Pouvez-vous expliquer votre position à ce sujet ?
Ma position n’est probablement pas aussi extrême que cela, mais la manière dont votre question est formulée a le grand mérite de m’obliger à bien expliciter cette position.
Les différents acteurs qui proposent des outils sémantiques utilisent ces outils pour analyser des productions langagières (discours, textes, dialogues, …), dans le but d’en tirer des enseignements sur un certain nombre des paramètres qui caractérisent les conditions de ces productions : identifications idéologiques, préférences de tout ordre, cartes cognitives, et bien d’autres encore. Ces enseignements peuvent ensuite servir à profiler les catégories des producteurs, mais aussi à formuler des suggestions sur des mots à utiliser ou à éviter pour une communication efficace.
Les productions langagières étant la mise en acte, en situation, d’unités de langue, l’analyse rigoureuse de ces productions doit s’appuyer sur un modèle scientifique, fondé sur une théorie explicite, du rôle des unités de langue dans la construction du sens des discours qu’elles permettent. Un tel modèle, qui relève bien de la sémantique, doit, comme tout modèle scientifique, d’une part s’appuyer sur des observations, d’autre part permettre des prédictions explicites, et enfin, permettre de tester ces prédictions en les confrontant à de nouvelles observations.

On trouve cependant beaucoup d’outils d’analyse lexicale et sémantique, fondés notamment sur l’étude statistique des corpus… sont-ils inefficaces ?
Si l’utilisation des outils de la statistique est licite et même souhaitable pour tester des hypothèses en les confrontant à des observations, son utilisation pour remplacer une hypothèse théorique n’a d’intérêt que lorsqu’on n’a pas d’hypothèse théorique à disposition. En effet, à défaut d’un modèle scientifique, comme c’est souvent le cas dans beaucoup de disciplines, on se contente parfois d’une approximation statistique (plus ou moins approfondie), sur la base de laquelle un calcul de probabilité (plus ou moins formel) est parfois possible.
L’utilisation des outils statistiques à la place d’un modèle sémantique peut donc être perçue comme une usurpation. Plus généralement, l’utilisation d’outils d’analyse des productions langagières qui ne seraient pas fondés sur un modèle descriptif et prédictif du rôle des unités de langue dans la construction du sens de leurs énoncés, alors même que de tels modèles existent, peut être considérée comme de l’amateurisme.

Cette clarification apportée, quelles applications concrètes dans le monde économique voyez-vous à la Sémantique des Points de Vue ?
D’une manière générale, toutes les applications que permet une analyse rigoureuse des productions langagières, fondée sur un modèle scientifique.
Plus précisément, je vois trois grands types d’applications, qui peuvent se décliner en plusieurs sous-types par combinaison de certains de leurs aspects.
1. L’aide au recueil et à la gestion des savoir-faire en entreprise, par la mise en évidence et la structuration des points de vue des experts sur leur domaine d’expertise
2. L’aide au marketing qualitatif, par la mise en évidence des identifications idéologiques des différentes catégories de cibles (et, plus généralement, l’aide à la communication interne et externe)
3. La catalyse de formation, qui consiste à faciliter la comparaison entre, d’une part, la représentation de ce qu’un formateur comprend de ce qu’il dit et, d’autre part, la représentation de ce que des stagiaires comprennent de ce que le formateur dit.

À l’heure d’une crise qui fait chanceler bon nombre de repères économiques et idéologiques, pensez-vous qu’une attention particulière au langage présente pour les organisations, privées ou publiques, un moyen efficace d’agir sur les représentations de leurs parties prenantes ?
Indépendamment de toute crise, une attention particulière au langage présente un moyen efficace d’agir sur les représentations des interlocuteurs. L’ébranlement des repères idéologiques rend cette action plus difficile : la fonction des mots devient instable dans de telles conditions. C’est pourquoi il est d’autant plus utile – prudent, pourrait-on dire – de procéder à une sorte d’état des lieux sémantique avant de prendre la parole pour une communication que l’on juge importante.
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mardi 20 octobre 2009

LaboCom >2< Communication client : une excuse ne coûte rien

Quand un client a des griefs légitimes contre vous, quelle est la meilleure stratégie ? L’envoi d’un bon d’achat ou un simple mot d’excuses ? La réponse de Johannes Abeler et de ses collègues, qui ont travaillé avec une entreprise réalisant environ 10 000 ventes par mois sur e-Bay, peut surprendre : un mot d’excuses !

Dans le cadre de la gestion de réclamations clients motivées par des retards de livraison, l’entreprise test a évalué deux messages : 1. « Nous sommes désolés pour ce retard et vous prions d’accepter nos excuses » ; 2. « Pour vous prouver notre bonne volonté, nous vous adressons un bon d’achat d’une valeur de 5 euros ». Les clients réclamants étaient invités à réagir à la réponse reçue en retirant, ou en maintenant, le commentaire négatif laissé sur le site marchand de l’entreprise. Il a été ainsi possible de comparer l’effet des deux messages : 45 % des clients ont retiré leur évaluation négative après avoir reçu des excuses ; seuls  23 % l’ont fait après avoir reçu le bon d’achat.

Non seulement une excuse ne coûte rien, mais elle bénéficie à la réputation de celui qui consent à l’émettre. Pour créer une relation durable, un langage maîtrisé et adapté aux réelles attentes du client constitue un véritable outil de relation client.

Référence : Abeler J, Calaki J, Andree K, Basek C (2009), The power of apology, Centre for decision research & experimental economics, Discussion paper n°2009-12.

Nota : cette information a été distribuée sur la liste de diffusion hebdomadaire de la société Inférences, LaboCom. Si vous souhaitez vous aussi recevoir nos analyses chaque mardi, en avant-première dans votre messagerie, contactez-nous pour être inscrit sur notre liste de diffusion.
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dimanche 18 octobre 2009

Sur Oliver Williamson, Prix Nobel d'économie


Le prix Nobel d'économie a été attribué aux Américains Elinor Ostrom et Oliver Williamson. Elinor Ostrom, de l'Université d'Indiana, est récompensée par le comité « pour avoir démontré comment les biens communs peuvent être efficacement gérés par des associations d'usagers ». Ses travaux remettent en cause « l'idée classique selon laquelle la propriété commune est mal gérée et doit être prise en main par les autorités publiques ou le marché ». C’est la première fois qu’une femme accède au Nobel d’économie depuis sa première attribution en 1969. Oliver Williamson, enseignant à l'université de Californie de Berkeley, a été récompensé pour « son analyse de la gouvernance économique, notamment les frontières de l'entreprise ». Nous insisterons ici sur les travaux de ce dernier.

Williamson s’inscrit dans une double tradition intellectuelle : l’analyse institutionnelle (Thorstein Veblen, John R. Commons, Ronald Coase) et la théorie des organisations (Robert Michels, Chester Barnard, Herbert Simon). Le premier point essentiel de ses travaux consiste à poser que l’organisation joue un rôle dans l’économie et que ce rôle peut être scientifiquement étudié. Cette idée se retrouve dans les textes déjà anciens d’Alfred Marshall, Joseph Schumpeter et même Friedrich Hayek, mais elle n’a pas formé le paradigme dominant de la science économique. Celle-ci s’est développée principalement comme une « science du choix » : une théorie du consommateur visant à maximiser son utilité et de l’entreprise visant à maximiser son profit. Le marché est le lieu où se réalisent les choix par confrontation des moyens (rares) et des fins (illimitées) des acteurs économiques, individus ou firmes, avec le système des prix comme facteur d’équilibre. Une approche simple, simpliste diront certains.

À cela, Williamson répond que l’économie est tout aussi bien une « science des contrats » et que l’analyse des transactions réelles montre l’existence de ce qu’il nomme les « hiérarchies » (concrètement, les entreprises et leur gouvernance) par opposition au marché. Toute entreprise est le lieu de rapports bilatéraux nombreux, de nature différente, la liant à ce que l’on appelle aujourd’hui ses « parties prenantes » (salariés, fournisseurs, actionnaires, clients, société civile, États). De tels rapports sont souvent codifiés par des contrats qui ne se résument pas à la logique des marchés. L’exemple le plus simple et le plus universel est le contrat de travail : si la prestation s’échange contre une rémunération, les détails de cette prestation ne sont qu’imparfaitement connus. De là notamment résulte le phénomène de la hiérarchie dans la firme, car les ajustements nécessaires se réalisent plus rapidement et plus efficacement dans un tel cadre institutionnel.

La gouvernance de l’entreprise est donc au cœur des interrogations de cette école des institutions et des organisations économiques. Par rapport au modèle néoclassique dominant, bousculé par la crise de 2008, cette approche peut mettre aujourd’hui en lumière ses avantages. Williamson observe ainsi que les acteurs humains, notamment leur « rationalité limitée » au moment de l’échange et du contrat, sont pris en compte de manière plus réaliste. De même, les détails habituellement gommés par le prisme néoclassique (diversité des organisations, complexité des contrats, régularités et irrégularités comportementales des acteurs) sont ici pleinement pris en compte dans la mesure où chaque transaction relève d’un contexte singulier. La coopération adaptative, principe de base selon lequel les acteurs du jeu économique visent à mutualiser des gains, est également mieux prise en compte si l’on intègre, à côté des mécanismes d’intéressement propre aux marchés, les nombreux ajustements que permettent les hiérarchies, y compris dans des situations de conflit qui ne sont pas prises en compte par le droit du commerce ou du travail.

À lire :
Williamson OE (2002), The Theory of the Firm as Governance Structure: From Choice to Contract, Journal of Economic Perspectives, 16, 3, 171–195 [texte intégral, anglais, PDF. Une excellente synthèse du Nobel sur ses vues]
Williamson OE (1985), The Economic Institutions of Capitalism, Free Press (trad. Fr. : Les institutions de l’économie, Inter-éditions, 1994).
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jeudi 15 octobre 2009

Sur les discours de la peur

Dans son édition du jeudi 15 octobre 2009, l’hebdomadaire Le Nouvel Économiste a publié sous la plume de Caroline Castets un dossier consacré au développement de peurs qui, politiquement et médiatiquement entretenues, favorisent l’accentuation de leurs causes plus qu’elles ne les éloignent. Inférences intervient dans ce dossier pour rappeler que si les mécanismes d’”alertes adaptatives” jouent un rôle indispensable de conjuration des menaces, ils peuvent également cultiver un paradoxe fâcheux : favoriser l’émergence d’une peur paralysante tout en encourageant des adaptations devenues précisément impossibles ! La peur de la peur, en quelque sorte.

Et comme toujours, l’observation attentive du langage dévoile les stratégies discursives des uns et des autres qui, en ayant délibérément recours à des lexiques anxiogènes ou “euphorisants”, déploient des champs sémantiques qui alimentent la doxa. De véritables machines à fabriquer de l’opinion…

À méditer, y compris dans l’entreprise.
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lundi 12 octobre 2009

LaboCom >1< Développement durable… mais bénéfice immédiat

Nous passons notre temps à arbitrer entre des buts immédiats et des buts lointains : ne pas trop manger pour garder la ligne ou se faire plaisir à table, ne pas dépenser notre argent pour en avoir en cas de difficultés ou acheter maintenant cet objet dont on rêve, etc. Une part de nos comportements balance ainsi entre un mode réflexif et projectif d'une part, un mode expressif et impulsif d'autre part. Cette tendance a été mesurée en psychologie expérimentale sous le concept de «dépréciation de la récompense différée» : comment réagit-on devant un gain plus ou moins important selon un délai plus ou moins long?

David J. Hardisty et ses collègues ont voulu savoir si la dépréciation des récompenses trop lointaines, bien établie dans le domaine financier, se retrouve aussi dans les choix environnementaux. Trois groupes ont été constitués (65, 118, 146 personnes), qui devaient choisir entre des options immédiates ou retardées. Par exemple, l'approbation d'une mesure permettant de lutter 21 jours contre la pollution dans l'année présente ou 35 jours l'année suivante. Résultat : comme pour leurs choix financiers, la majorité des gens recherchent des bénéfices immédiats.

Par sa nature même insistant sur la durabilité ou soutenabilité, le discours sur le développement durable et la RSE est souvent irrigué de perspectives lointaines ou abstraites (équilibre climatique, préservation de la biodiversité…). Mais nos cerveaux restent plus sensibles aux avantages concrets et rapides. À méditer quand on agit et communique sur le sujet.

Référence : Hardisty DJ, Elke U, Weber EU, Discounting Future Green : Money Versus the Environment, Journal of Experimental Psychology : General, 138, 3, doi : 10.1037/a0016433

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mardi 6 octobre 2009

Développement durable et valeur de marque


Havas Media a publié les résultats d’une enquête réalisée en janvier 2009 auprès de plus de 20 000 consommateurs répartis sur 10 marchés (France, Allemagne, Royaume-Uni, Suède, Espagne, États-Unis, Inde, Chine, Mexique, Brésil), et consacrée au développement durable. Deux enseignements dominent les résultats :

- les consommateurs intègrent toujours davantage le développement durable, même en période de crise : 48 % des consommateurs (49 % en France) se disent prêts à payer 10 % de plus pour des produits ou services responsables sur le plan environnemental et/ou social ;

- la valeur des marques est aujourd’hui de plus en plus déterminée par le développement durable. Il constitue environ 40 % de ce capital, pouvant, aller au-delà pour certaines entreprises très engagées.

Les auteurs de l’étude ont créé un indice (Quotient développement durable) permettant de mesurer les secteurs où les engagements sociaux et environnementaux contribuent le plus à la valeur de marque. Il en ressort que l’alimentation et les produits de grande consommation sont les deux segments en pointe. En revanche, l’automobile ne reçoit pas les bénéfices de son volume croissant de communication sur les « voitures propres » puisque le secteur est perçu comme produisant un impact négatif.

Valérie Planchez (Havas Media France) observe : «Les marques sont conscientes depuis longtemps de la part immatérielle et symbolique qui les constitue, et du rôle des valeurs dans leur relation aux consommateurs. Mais aujourd’hui, sous le coup de la crise, ces valeurs évoluent à nouveau vers une dimension plus collective.»

Il reste à savoir si cette orientation de l’opinion se confirmera, selon les différents scénarios d’évolution économique, et si les entreprises parviendront à un équilibre entre leurs engagements pour le développement durable et les impératifs de leur croissance propre. Ainsi, aux États-Unis, la Society for Information Management vient de publier les résultats de son enquête sur les priorités de 250 dirigeants d’entreprise, d’où il ressort que le premier objectif est le gain de productivité par réduction des coûts. Aucune des dix priorités ne fait mention de l’environnement ou de l’équité…

Autre point, dont nous avions parlé ici, le développement durable n’est pas une valeur en soi, comme il l’était à l’époque de quelques pionniers engagés, mais un prérequis de plus en plus encadré par des contraintes normatives et réglementaires. De sorte que rien ne garantit la continuité de son pouvoir de différenciation au sein de la valeur de marque.
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jeudi 1 octobre 2009

La tragédie des suicides et l’évolution du management

Dans Les Échos, intéressante analyse de Gilles Verrier (directeur d’Identité RH et professeur associé à Sciences Po Paris) sur la « vague » actuelle des suicides en entreprise. « Après Renault, PSA et EDF, France Télécom est à la une de l'actualité avec ses 23 suicides. Le sujet fait recette, avec son cocktail de pathos, de sensationnel et de réponses simplistes, tout comme le thème des séquestrations il y a quelques mois. Au-delà des spécificités de France Télécom, la multiplication d'actes désespérés dans différentes entreprises révèle un malaise profond qui va bien au-delà des personnes qui passent à l'acte et touche aujourd'hui une part importante de la population salariée. Pour de nombreuses personnes, le travail est devenu source de stress, voire de souffrance. »

Observant que certaines entreprises préfèrent le déni pur et simple de cette réalité, quand d’autres en confient la délicate gestion à un service psychologique individualisé au sein de la médecine du travail, Gilles Verrier continue : « Ce qui est en cause, ce sont les modes de fonctionnement des entreprises concernées, leurs pratiques d'animation des hommes et de management. Leur objectif est clair : générer de la performance. Mais la voie adoptée par certaines est celle de la pression au quotidien sur les personnes, des objectifs matraqués, de la déshumanisation et de la déresponsabilisation. (…) Ce qui donnait des résultats lorsque le travail était prescrit et répétitif (« serrer des boulons ») ne fonctionne plus avec le travail du savoir (« produire du jus de cervelle ».) Ce qui était efficace dans la société d'hier ne l'est plus, appliqué à des personnes qui dans la vie hors travail ont une autonomie et des champs de décision sans comparaison avec ceux qu'ils avaient il y a trente ans. (….) Générer de la performance fait partie du non-négociable pour l'entreprise. Mais ce résultat est une résultante : il peut naître de l'investissement au quotidien des salariés dans leur activité, sous réserve que cet engagement soit choisi et que le résultat soit généré par la motivation. »

3 pistes pour manager « autrement »
Gilles Verrier propose trois pistes pour que les objectifs de performance ne soient plus perçus comme des contraintes subies : donner du sens à la recherche de performance en l'inscrivant dans un projet partagé ; traiter ses salariés comme des adultes, en développant leurs marges de manœuvre et d'autonomie ; réinvestir dans le management de proximité, en inversant la tendance de ces dernières années.

Ces observations rejoignent les réflexions que le cabinet Inférences a formulées sur ce blog ou dans ses études, notamment sur le rôle croissant des valeurs et du sens dans l’entreprise. Dans ses travaux sur la « modernité réflexive », le sociologue Anthony Giddens observe que nos sociétés modernes se sont construites jusque dans les années 1960 sur un compromis socio-historique et psychologique : recherche de rationalité et domination de la nature ; individualisation (sortie des communautés et traditions) ; confiance dans ses identités sociales et les institutions. Les Trente Glorieuses ont illustré cet équilibre dominé par le volontarisme des actions humaines, la pacification des rapports sociaux, l’extension lente de la sphère privée.

Vers un nouveau contrat social
Mais au cours des quarante dernières années, ces tendances ont été malmenées. L’extrême rationalisation de toute tâche a eu tendance à concentrer l’attention sur les moyens au détriment des fins, conduisant à une perte de sens. L’individualisation n’a pas été toujours profitable, provoquant désengagement ou désarroi chez les plus fragiles ; les collectifs (dont l’entreprise) et les institutions perdent leur centralité tandis que progresse une distance cynique ou fataliste vis-à-vis des obligations communautaires. Il se peut que la conjonction actuelle de la crise économique, des menaces environnementales et des progrès technologiques, notamment dans la communication interpersonnelle, soit l’occasion de définir un nouveau contrat entre individus et entreprises, au sein d’une « économie réflexive » capable d’intégrer les facteurs non-économiques mais ô combien déterminants qui traversent toutes ses activités.
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Le cabinet Inférences est né !

Depuis le 1er octobre 2009, Ad-Verbe est devenu Inférences, cabinet d’études et de conseil spécialisé dans le langage et la communication stratégique des organisations. Vous pourrez  bien sûr continuer à suivre ici même les  réflexions et analyses que nous livrons à vos critiques et commentaires.
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