mardi 30 mars 2010

LaboCom >23< Internet et le plébiscite du gratuit : quels effets sur la communication des entreprises ?

Une étude GfK sur les attitudes des internautes à l’égard de l’accès payant ou gratuit des contenus d’Internet vient de paraître. Elle a concerné 16 800 personnes et 17 pays (Europe et Etats-Unis).

Son résultat est sans appel : en moyenne, 13 % seulement des internautes se disent prêts à payer – dont 8 % à condition qu’il n’y ait pas de publicité. Ils sont 89 % à considérer que tous les contenus doivent être gratuits, dont 33 % veulent du gratuit sans publicité. Dans ce tableau d’ensemble, la France est parmi les pays les plus attachés à la gratuité : 8 % acceptent de payer, et 1 % seulement de payer un contenu avec publicité ! En matière de prix, le réseau tend vers zéro.

Pour les éditeurs de contenus, et la presse en premier lieu, c’est la quadrature du cercle. L’offre papier a de plus en plus de mal à trouver des recettes publicitaires. L’offre Internet se heurte à cette exigence de gratuité, qui découle notamment de l’abondance des sources sur un réseau mondialisé. D’autant que l’arrivée des nouvelles générations de lecteurs numériques (iPad, Kindle, etc.) risque d’accélérer le basculement de l’âge Gutenberg vers l’ère Turing.

On aurait tort de penser que la presse subit seule cette pression nouvelle. Hier la musique et la photographie, demain le livre, la télé ou le cinéma seront dans le même cas. Il suffit d’une compétition du gratuit face au payant sur un même terrain (numérique) pour que les attitudes de consommation et de consultation basculent. Les travaux expérimentaux de l’économie comportementale (notamment ceux de Dan Ariely) ont montré que le zéro agit comme un attracteur étrange sur notre esprit consommateur : rien ne lui résiste. Nos cerveaux ont été programmés par l’évolution pour craindre la rareté et toute opportunité de gratuité est saisie. Ce qui est vrai des biens matériels l’est plus encore des biens immatériels, le coût de réalisation des œuvres de l’esprit n’étant pas perçu avec évidence.

Internet oblige donc l’éditeur à produire une valeur ajoutée assez nouvelle et assez attractive pour justifier une dépense du consommateur. Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, le gratuit lui-même n’est pas forcément l’ennemi du payant. Dans son best-seller Free (Pearson 2009), le très écouté Chris Anderson a détaillé une bonne dizaine de procédés par lesquels une entreprise peut concilier une offre gratuite avec des revenus.

Cette évolution des mentalités concerne toutes les entreprises, et pas seulement celles qui évoluent dans les secteurs de l’information, de la culture, du divertissement ou du savoir.
Mettre à disposition des contenus à haute densité informative ou construire des stratégies de contenus adaptés aux différentes parties prenantes, constituent les enjeux possibles d’une production par les entreprises d’informations numériques gratuites et de qualité. Ces Corporate ou Affinitys contents à vraie valeur ajoutée seraient de nature à régénérer le genre de la communication corporate pour l’orienter vers une authentique communication d’influence.

Référence : étude GfK Custom Research pour le Wall Street Journal, 2010.  
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jeudi 25 mars 2010

Communiqué

Le cabinet Inférences, en collaboration avec l’UJJEF – Communication et entreprise et le cabinet d'ingénierie Inddigo, rendra publique, à partir du 30 mars 2010, une analyse sémantique du discours corporate des entreprises sur le développement durable. Un abstract sera prochainement téléchargeable depuis ce blog et sur le site d'Inférences ; les conditions d'accès au rapport d'analyse complet seront précisées ultérieurement.
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mercredi 17 mars 2010

LaboCom >22< Développement durable : achat « vert » et lutte pour la réputation


Depuis quelques années, développement durable et commerce équitable ont créé une vogue d’achats « éthiques », « verts » ou « citoyens ». Le consommateur peut avoir de nombreuses motivations pour faire de tels choix, à commencer par ses convictions intimes sur l’état et l’avenir de la planète.

Vladas Griskevicius (Institute for Research in Marketing, Université du Minnesota) et ses collègues viennent cependant de souligner l’importance d’un facteur cognitif et comportemental bien précis : la réputation. « Les achats verts sont souvent motivés par le statut. Les gens veulent être perçus comme altruistes. Rien ne communique mieux cette qualité que d’acheter des produits « verts » qui sont même parfois plus chers et de moins bonne qualité que d’autres, mais qui bénéficient à l’environnement de tous ». 

Pour valider leur hypothèse de départ, les chercheurs se sont inspirés d’une donnée bien établie en psychologie évolutionniste : les hommes sont des animaux sociaux qui prennent le plus grand soin de leur réputation dans le groupe, car elle est la base de la reconnaissance comme de la confiance. Ce phénomène connu est qualifié d’« altruisme compétitif » : une lutte discrète mais permanente pour améliorer son image auprès des autres. Et pour cela, rien de tel que supporter ostensiblement des coûts représentant des sacrifices au service du groupe.

L’équipe de Vladas Griskevicius a testé cette hypothèse en demandant à des consommateurs de choisir des produits « verts » ou « non-verts », soit en situation d’isolement, soit en étant observés par un groupe d’individus. Les choix de l’acheteur « verdissent » nettement sous le regard du groupe ! Une variante de l’expérience a montré que le prix plus élevé d’un produit « vert » (par rapport à un produit « non-vert ») est même, en situation de compétition altruiste, un incitateur d’achat : le succès du produit est positivement corrélé à l’importance du coût, contrairement à la logique habituelle. 

Conclusion des auteurs à destination des entreprises : plus l’achat et l’utilisation d’un produit « vert » seront publics, plus il sera facile de développer une ligne « durable » susceptible de séduire le consommateur. Mais cette observation va bien au-delà de la consommation et du marketing : en management ou en communication interne, une entreprise souhaitant réellement s’inscrire dans une perspective de développement durable devra développer toutes sortes de marqueurs de réputation permettant de stimuler des comportements d’« altruismes compétitifs » en son sein. 


Référence : Griskevicius V, Tybur J M, Van den Bergh B (2010), Going green to be seen: Status, reputation, and conspicuous conservation, Journal of Personality and Social Psychology, 98, 3, 392-404  
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mercredi 10 mars 2010

LaboCom >21< Génération Y : un défi pour la communication interne et RH

Avec le vieillissement de la population, les entreprises doivent gérer le départ en retraite et le remplacement de la génération issue du baby-boom. Mais entre les années 1970 et les années 2010, les temps ont bien changé… Quelles sont donc les mentalités des jeunes talents de demain ?

Jean M. Twenge et ses collègues ont étudié les valeurs associées au travail dans une étude longitudinale menée sur de jeunes diplômés américains (plus de 16 000) en 1976, 1991 et 2006. Cette enquête sur la durée permet de comparer ce que l’on a appelé la génération baby-boom, la génération X (GenX) et la génération Moi (GenMe, aussi appelée génération Y ou encore génération du millénaire). 

Parmi les résultats, on observe en premier lieu que l’importance accordée aux loisirs et au divertissement augmente de génération en génération, et que la centralité du travail (comme valeur de l’existence) diminue en proportion. Les « valeurs intrinsèques » du travail (le fait de trouver son emploi intéressant en soi et le goût des résultats) sont aussi en baisse régulière.

Les entreprises sont donc confrontées à une crise potentielle de vocation : il est de plus en plus difficile de motiver durablement des équipes sur un enjeu strictement professionnel. À moins de réinventer le travail en mêlant détente et engagement au quotidien, comme tentent de le faire certaines entreprises de la nouvelle économie (Google), plus en phase avec les nouvelles générations. La vogue émergente des « jeux sérieux » (serious game), qui consistent à développer un apprentissage ou relever un défi concret en les présentant comme un jeu immersif, pourrait s’expliquer comme une adaptation nécessaire à la mentalité des générations montantes.

L’étude tord également le cou à quelques idées reçues. Par exemple, la génération Y n’est pas spécialement intéressée par les « valeurs sociales » du travail (se faire des amis et des relations) ni par l’altruisme (engagement associatif et sociétal). Cette génération satisfait déjà ce type de besoins ou d’aspirations in virtual life avec les réseaux sociaux, et in real life par le biais de rencontres affinitaires classiques ; le travail perd donc sa vertu ancienne de socialisation. De fait, les nouveaux entrants sur le marché du travail favorisent des « valeurs extrinsèques » : statut et argent. Ces deux vecteurs de motivation qui ont connu leur pic d’intérêt avec la génération X, restent encore élevés pour la génération Y et nettement plus importants que chez les baby-boomers.

Cette évolution des comportements et des mentalités doit être prise en compte par l’entreprise. Et quoi qu’on en pense, il n’est guère utile de la déplorer puisqu’elle relève d’un lent changement de civilisation amorcé dans les années 1970 avec la télévision, la radio et la pop culture, pour se développer plus récemment avec Internet, les jeux vidéo et l’importance croissante des industries du loisir et du divertissement. Pour un objectif rester inchangé – mobiliser l’attention, la concentration, l’intelligence, la motivation et la créativité de leurs équipes –, les entreprises vont devoir réinventer progressivement leur communication interne et RH, et concomitamment, revoir leur stratégie de discours à l’égard de certaines de leurs cibles. 

Référence : Twenge JM, SM Campbell, BJ Hoffman, CE Lance (2010), Generational Differences in Work Values: Leisure and Extrinsic Values Increasing, Social and Intrinsic Values Decreasing, Journal of Management, epub, doi:10.1177/0149206309352246

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mercredi 3 mars 2010

LaboCom >20< Et si l’arme secrète de la performance de l’entreprise était… les femmes ?

Les femmes sont au centre des débats ces temps-ci. Tandis que le livre d’Elisabeth Badinter (Le conflit) provoque une abondante discussion, notamment sur le rapport entre maternité et travail, le CNRS publiera en avril une étude sur la féminisation de l’encadrement des entreprises. Michael Ferrary (SKEMA Business School) en a livré les premières données sur Eco89.

L’étude, réalisée sur les entreprises du CAC40 entre 2002 et 2006, montre que l’encadrement des grandes sociétés est en moyenne féminisé à 29,59 %, avec un minimum à 8 % (EADS) et un maximum à 57 % (LVMH, Hermès). Premiers enseignements : les femmes restent très minoritaires aux postes de décision ; la nature de l’activité n’est pas indifférente au taux de féminisation (un minimum dans les domaines techniques, un maximum dans le domaine du luxe).

Plus étonnant, les chercheurs ont comparé le taux de féminisation avec les résultats de l’entreprise. Ils ont choisi le seuil de 35 %, dont de précédents travaux avaient suggéré qu’il correspondait à la masse critique nécessaire pour qu’une minorité influence le fonctionnement d’une organisation. Les 14 entreprises ayant plus de 35 % de femmes dans l’encadrement obtiennent en moyenne une croissance de 23,54 % du CA et de 19,55 % de la rentabilité, contre 14,61 % et 9,97 % pour les 28 autres moins féminisées ! Ces différences de score se confirment sur la productivité et la création d’emploi, ainsi qu’au sein d’une même branche d’activité, y compris celles à dominante masculine : la croissance et la féminisation de Renault (23 %, 11 %) surpassent celles de Peugeot (18,5 %, 4 %) ; BNP Paribas (41,4 % de féminisation) a nettement mieux résisté à la crise que Dexia (18,4 %).

Comment expliquer ce lien statistique apparemment robuste entre la féminisation et la performance de l’entreprise ? Plusieurs hypothèses sont avancées : effet de la diversité des ressources humaines, apportant une meilleure adaptabilité au changement en interne et un meilleur rapport client ; effet de représentations féminines stimulant des méthodes, des questions et des réponses différentes (en moyenne) des représentations masculines ; effet psychologique de répugnance à la prise de risque excessive (plus marquée chez les femmes que chez les hommes). Il y en a sans doute bien d’autres.

Dans les travaux que le cabinet Inférences a pu mener sur l’identité, les valeurs et le langage des entreprises, il est intéressant de noter que cette problématique de la féminisation n’est jamais au centre du questionnement managérial ou institutionnel – alors que c’est bien sûr le cas dans certains secteurs du marketing. Cette étude, venant après d’autres, suggère que les entreprises gagneraient peut-être à circonscrire plus précisément les écarts de perceptions conscientes d’une même réalité par les hommes et les femmes. En d’autres termes, les cartes cognitives de femmes et d’hommes managers sur un sujet donné touchant l’entreprise (valeurs, choix de modèle de management, identité, stratégie marketing, communication, stratégie développement durable…) sont-elles identiques ? Dans la négative, en quoi diffèrent-elles ?

Référence : Ferrary M (2010), Plus l'encadrement est féminin, plus l'entreprise réussit, Eco89, 21 février, e-pub. (Etude à paraître en avril dans la revue du CNRS : Travail, genre et sociétés). 

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