lundi 27 juin 2011

Face à une crise… Préserver sa réputation en ligne !

Lors de la conférence annuelle de l’International Communication Association, en mai dernier, une doctorante de l’Université du Missouri a délivré les résultats préliminaires d’une étude qui ne manquera pas d’intéresser les entreprises.

Bo Kyung Kim s’est penchée avec son directeur de thèse (Hyunmin Lee ) sur l’effet des commentaires négatifs postés sur les réseaux sociaux, à l’occasion d’une crise. L’opinion d’un panel de volontaires a été initialement testée à propos de quatre marques automobiles. Ils ont ensuite été informés qu’une crise avait affecté ces dernières et l’un de leur produit en particulier. Puis, des extraits des réseaux sociaux facebook et Twitter, ainsi que des commentaires divers (blogs et forums) ont été soumis aux participants. Les commentaires étaient soit négatifs, soit neutre ou positif (quand ils émanaient de personnes n’ayant pas été affectées par la crise). À la fin de l’expérience, les avis des consommateurs concernant la marque étaient de nouveau testés.

Résultat : l’opinion négative vis-à-vis des quatre marques automobiles a été proportionnée à celle exprimée sur les réseaux sociaux, sans variation notable en fonction de la source (Facebook, Twitter, etc.). Les plaintes de victimes ont été mieux mémorisées et jugées plus crédibles que les commentaires neutres ou positifs. Et l’hypothèse de boycotter une marque à l’avenir était plus forte pour celles qui avaient reçu les opinions les plus négatives. Bo Kyung Kim en conclut qu’en situation de crise, les marques gagnent à s’expliquer face aux critiques plutôt qu’à laisser monter la colère ou d’autres émotions négatives.

Cette conclusion n’a bien sûr rien de surprenant. Elle est partagée par les travaux des spécialistes de la question, dont plusieurs étaient réunis à Paris en début de semaine dernière, à l’occasion de l’e-Reputation Day co-organisé par Veille Magazine et la web agency Valtech. Mais les entreprises sont confrontées à des défis concrets : comment assurer la veille efficace de médias où il se poste plusieurs dizaines de messages par secondes ? Quelle est l’influence relative de chaque source parmi des millions d’autres ? Comment repérer automatiquement des opinions négatives associées à sa marque ? Quel registre argumentaire est le mieux approprié, pour éviter d’ajouter la crise à la crise par une communication mal adaptée aux communautés en ligne ?

La réponse à ces questions va devenir de plus en plus stratégique. Née un clavier à la main et un écran devant les yeux, la génération des digital natives est appelée à construire et déconstruire les réputations en ligne. Il lui est aussi naturel de donner son avis qu’il pouvait l’être à ses grands-parents d’écrire au service réclamation d’une entreprise ou au courrier des lecteurs de leur média favori. Sauf qu’évidemment, les avis des consommateurs en ligne sont désormais publics, innombrables et parfois contagieux…

Référence : Lee Hyunmin et Kim Bo Kyung (2011), Expanding the situational crisis communication theory: An examination of the impact of angry social media content, 14e conférence de l’International Communication Association, Miami.
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jeudi 23 juin 2011

Influenceurs et adopteurs. La qualité prime sur la quantité au sein des réseaux sociaux

Gérard a 978 amis sur Facebook, Séverine totalise 654 connexions sur Linkedin et Rafaël dépasse les 1 000 followers sur son compte Twitter. Cela signifie-t-il qu’ils ont une influence majeure dans leurs réseaux respectifs ? Pas forcément, selon une étude que vient de publier le Journal of Marketing Research.

Zsolt Katona (Université Berkeley), Peter Pal Zubcsek (Université de Floride) et Miklos Sarvary (INSEAD) ont analysé trois ans de données sur des réseaux sociaux européens, suivant 4 millions d’utilisateurs et leurs 100 millions d’amis. Sur les réseaux en question, qui n’ont pas de publicité, on ne peut devenir membre d’un cercle que sur cooptation d’un membre existant. C’est le seul bouche-à-oreille de la réputation qui construit l’évolution des influences internes au réseau.

Certes, les trois chercheurs ont trouvé une corrélation positive entre le nombre de contacts et l’influence du membre. Les stratégies d’e-marketing n’ont donc pas tort de considérer cette population comme leur cible prioritaire. Mais cette corrélation masque un phénomène d’entropie : passé un certain seuil de croissance des contacts, l’influence décroît nettement, puis stagne. Les membres les plus populaires d’un réseau ne représentent donc pas forcément sa dynamique interne. Autre découverte : c’est surtout la densité des échanges entre les adopteurs présents dans un réseau d’influence qui va déterminer le comportement d’adoption des autres membres. Ce qui suppose que le réseau soit vivant et riche d’interconnexions.

L’analyse des réseaux sociaux est devenue un élément à part entière du management de la relation client, de la marque, de la réputation corporate comme des campagnes de marketing viral. The Economist estimait récemment que ce marché mondial s’élève déjà un milliard de dollars et que sa croissance ne fait que commencer. Mais déchiffrer toutes les arcanes de cette nouvelle société de conversation va demander du temps…

Références : Katona Z et al (2011), Network effects and personal influences: The diffusion of an online social network, J Marketing Research, 48, 3, e-pub
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mercredi 15 juin 2011

Valeurs, sentiments et intérêts. Exploiter tous les leviers de la coopération

Opposée à la compétition ou à la prédation, la coopération est reconnue comme une qualité essentielle des groupes humains. Elle est notamment une condition de succès des sociétés complexes à forte division du travail et spécialisation des activités, créant ainsi une interdépendance globale. Au sein d’un groupe comme l’entreprise, la coopération optimale entre les acteurs est évidemment le fondement du succès.

Les ressorts psychologiques de cette coopération sont souvent réduits à l’intérêt : nous coopérons car nous y trouvons notre compte. Mais n’est-ce pas une vision réductrice de l’esprit humain, qui se prive de leviers d’action importants ? Les découvertes récentes des sciences de la cognition et du comportement le suggèrent fortement.

Deux études indépendantes consacrées à la coopération le démontrent. Toutes deux ont fait appel à la même méthodologie : des volontaires (180 et 30 respectivement) doivent pratiquer un jeu d’argent impliquant soit un comportement compétitif (maximiser le revenu pour soi), soit un comportement collaboratif (maximiser le revenu global, le sien et celui d’un tiers). Dans le premier travail, Jennifer Jacquet et ses collègues ont fait varier le contexte du jeu avec des marqueurs de honte ou d’honneur, selon le comportement de l’individu face au groupe. Dans la seconde recherche, Luke Chang et ses collègues ont directement observé en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle des zones cérébrales dont on sait qu’elles sont associées au sentiment de la culpabilité.

Les conclusions de ces deux travaux sont convergentes : la voie du sentiment, et non pas seulement de l’intérêt, est très efficace pour motiver la coopération. Par exemple, la perspective de l’honneur ou de la honte fait augmenter de 50 % les comportements coopératifs dans les groupes de la première expérience.

L’entreprise n’est pas toujours à l’aise quand elle sort de la stricte rationalité économique. Pourtant, l’expérience du cabinet Inférences a montré que le management par les valeurs partagées du groupe est susceptible de produire des gains d’efficacité, en donnant du sens aux actions et en renforçant le sentiment d’appartenance. Et l’explosion de l’expression individuelle et sociale par les technologies d’information et de communication a montré l’importance que nous attachons au regard d’autrui dans l’évaluation de nos actes.

Références : Jacquet J et al (2011), Shame and honour drive cooperation, Biology Letters, e-pub, doi: 10.1098/rsbl.2011.0367 ; Chang LJ et al (2011), Triangulating the neural, psychological and economic bases of guilt aversion, Neuron, 70, 3, 560-572, doi : 10.1016/j.neuron.2011.02.056
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lundi 6 juin 2011

Les nœuds, les flux et leur maîtrise. Les réseaux sont-ils incontrôlables ?

Les réseaux sont partout dans l’environnement naturel, social ou technologique. Ils sont constitués de nœuds et de liens (flux) entre les nœuds. Les gènes peuvent être considérés comme un réseau de section d’ADN (nœuds) capable d’envoyer des messages. Et il en va bien sûr de même pour les membres de Facebook, Copains d’avant, LinkedIn ou tout autre réseau social du Web.

Intuitivement, on pense que ces réseaux sont très difficiles à contrôler du fait même de leur organisation décentralisée et de leur horizontalité. Le modèle du réseau comme forme idéale d’organisation s’oppose à celui de la pyramide, où le sommet descend hiérarchiquement vers la base. Cette incontrôlabilité peut être perçue comme un avantage pour les réseaux sociaux (liberté individuelle) et un obstacle pour les réseaux biologiques (difficulté à administrer un médicament efficace)

Dans un article de la revue Nature, Yang-Yu Liu, Jean-Jacques Slotine et Albert-László Barabási suggèrent cependant que cette idée n’est pas exacte. En combinant les outils de la science des réseaux avec ceux de la théorie du contrôle, les trois chercheurs montrent que l’on peut en réalité parvenir à un contrôle partiel de ces réseaux, les faire évoluer d’un état initial donné vers un état final souhaité. Selon divers facteurs (taille et complexité du réseau), un certain nombre de « nœuds stratégiques » sont nécessaires pour cela : une fois ces nœuds gagnés, c’est-à-dire envoyant la bonne information au reste du réseau, l’évolution peut être rapide.

Pour Liu et ses collègues, les réseaux sociaux sont plus faciles à cibler ainsi : ils estiment que 20 % des nœuds sont des moteurs d’influence, contre par exemple 80 % dans un réseau de gènes. Autre idée reçue : les nœuds d’apparence les plus centraux (ceux par exemple ayant le plus d’amis sur Facebook) ne sont pas nécessairement les plus importants pour faire basculer le réseau d’un état vers un autre. Les voies de l’influence sont donc particulièrement complexes dans le monde des réseaux et exigent, certes des outils, mais aussi beaucoup « d’intelligence humaine ».

Référence : Liu YY, Slotine JJ, Barabási AL (2011), Controllability of complex networks, Nature, 473, 167-173, doi:10.1038/nature10011
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