vendredi 19 juin 2009

Le développement durable n’est pas une valeur !

par Jean Laloux

Beaucoup d’entreprises sans valeurs explicites donnent parfois au développement durable (DD) le rôle d’une valeur joker. A la fois principe d’action, démarche éthique, certificat de citoyenneté, passeport pour de nouveaux horizons de la communication… le développement durable – ou la démarche RSE – est alors brandi comme l’étendard d’une cause qui engloberait à elle seule l’identité, la vision, les valeurs et la stratégie de l’entreprise. Mais disons-le tout net : le développement durable n’est pas une valeur !

Entre le durable et l’acceptable, le conflit sémantique couve…
La prise en compte grandissante des enjeux sociétaux et environnementaux par les entreprises — notamment pour des raisons réglementaires — fait désormais du DD davantage un prérequis que l’expression d’une volonté engendrée par une identité et des valeurs supposées DD-compatibles. Respecter l’environnement à chaque étape du cycle de vie d’un produit ou d’un service, favoriser l’essor de la vie professionnelle des salariés, privilégier des stratégies économiques sur le long terme plutôt que sur le court terme… Fort bien, mais quid de l’identité de l’entreprise ? Quid de ses valeurs ?
Les valeurs d’une entreprise ne sont ni des déclarations de bonnes intentions, ni des obligations réglementaires travesties en savoir-être. La maturité de l’économie de marché comme celle de toutes les parties prenantes de l’entreprise n’autorise plus le recours à des catégories trop générales, génériques et généreuses. Elle exige au contraire des réalités incarnées. D’un côté, la tentation toujours présente de donner de l’entreprise un visage lisse et sans défaut, sorte d’archétype de l’efficacité et du succès ; de l’autre, la tentation naissante de proposer une représentation de l’entreprise plus conforme à la réalité, capable de prendre en compte conflits et contradictions, écarts entre discours et actions, recherche de consensus et constat de dissensus. Le conflit sémantique entre une durabilité aux accents souvent iréniques et une acceptabilité conflictuelle par nature, est à venir…

Culture d’ingés vs culture com’, langage d’expert vs langage commun
Le développement durable n’est donc pas une valeur, mais un extraordinaire réservoir d’orientations stratégiques, un critère d’évaluation, aussi nécessaire désormais à l’entreprise que celui de la rentabilité, mais aux indicateurs d’une grande complexité.
C’est pourquoi il ne faut pas se tromper de vecteur. Le DD dans l’entreprise commence par la réconciliation de l’ingénieur et du communicant. Laisser au premier la main sur une démarche DD, et c’est la garantie de préempter un registre peu accessible et dont il sera difficile pour le communicant d’extraire une vision synthétique et compréhensible par tous ; laisser au second la charge de porter seul le discours DD dans l’entreprise, c’est au contraire prendre le risque de lisser la complexité en gommant les difficultés méthodologiques et de mise en œuvre. Une communication durable sur le DD, c’est donc une synergie réussie entre des experts DD reliés à la direction générale, une direction DD et une direction de la communication ; sans oublier la nécessité d’un langage commun dans lequel l’ingénieur peut se reconnaître et le communicant se faire comprendre. Bon courage à tous !
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vendredi 12 juin 2009

Gare aux présentations .ppt trop animées…

Depuis deux décennies, les présentations PowerPoint ont progressivement envahi les salles de réunion. Remplaçant peu à peu les anciens transparents rétroprojetés, ces « diapositives » (slides) sont aisées à produire, au point que les plus imaginatifs ou les plus habiles n’hésitent pas à les animer : au lieu d’un message fixe pour chaque slide, on voit la page s’enrichir par étapes de lignes ou de schémas, à mesure que le conférencier avance dans son propos.

L’effet esthétique est garanti… mais en va-t-il de même pour l’effet cognitif ? Il semble que non selon une étude réalisée par Stephen Mahar et ses collègues (Université de Caroline du Nord).

93 étudiants en management, dont le degré de compréhension avait été testé quelques semaines plus tôt de manière indépendante, ont été répartis en deux groupes de niveau comparable pour suivre un cours, l’un étant en présentation « animée » (série de diapos évolutives), l’autre en présentation fixe (série de diapos statiques). A l’issue du cours, des tests ont été réalisés. Résultat : les présentations les plus sages sont aussi les mieux retenues, cette observation corroborant des expériences antérieures (Tversky 2002). Si l’on veut optimiser la compréhension et la mémorisation de son propos, mieux vaut donc éviter les présentations qui ressemblent à des films d’animation !

Référence : Mahar S. et al. (2009), The dark side of custom animation, Int. J. Innovation and Learning, 6, 581-592.
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lundi 8 juin 2009

Quand les MBA redécouvrent le facteur humain

par Charles Muller

Dans la Tribune.fr du 4 juin 2009, Julie Battilana, professeur assistant à la Harvard Business School, évoque la nécessité de repenser les contenus des cours enseignés dans les MBA. Ces Masters of Business Administration, dont les programmes sont encadrés par l’Association to Advance Collegiate Schools of Business, sont suivis chaque année par 216 000 étudiants dans le monde, et forment une référence dans le monde des affaires. Ils n’ont pas échappé à la crise, puisque parmi les titulaires de MBA on compte Rick Wagoner, qui a conduit General Motors à la faillite, John Thain, ex-n°1 de la banque Merrill Lynch, ou encore Richard Fuld, qui présida aux destinées de Lehman Brothers…

La grégarité des enseignements des MBA mise en cause
Julie Batillana dresse notamment le constat suivant à propos des enseignements des MBA : « La crise nous impose donc de repenser leur contenu. Si l'utilité des modèles financiers qui y sont enseignés n'est pas en cause, il convient d'en assurer une utilisation informée de leurs limites, notamment des hypothèses sur lesquelles ils s'appuient concernant les comportements et les préférences des acteurs. (…) Des enseignements transdisciplinaires, mobilisant autant des professeurs de finance que des professeurs spécialistes de l'étude des comportements humains au sein des organisations, permettraient sans doute de mieux mettre en évidence l'efficacité et les limites aussi bien des modèles financiers que des modèles de leadership que nous enseignons. »

Vers une vision plus complexe (et une organisation plus efficace) de la rationalité des acteurs économiques
Ce constat rejoint une critique intellectuelle de fond, menée depuis plusieurs années, sur le modèle « canonique » du comportement des acteurs économiques. De nombreux chercheurs, dont les prix Nobel Daniel Kahneman et Vernon L. Smith, ont montré que l’économie aussi bien que la finance ne sont pas nécessairement les terrains d’une « rationalité pure » et que de nombreux biais cognitifs y affectent les décisions, malgré l’impressionnante et formelle mathématisation des modèles. Toutes proportions gardées, ces observations rejoignent aussi les conclusions de l’étude que nous venons de publier sur le rôle des valeurs au sein des entreprises, et in fine la prise en compte du facteur humain dans les organisations managériales et les décisions stratégiques. Croire qu’un collaborateur de l’entreprise – quel que soit son niveau dans la hiérarchie – adopte comme par enchantement une cognition et un comportement strictement alignés sur de purs enjeux de rationalité économique est une illusion fondamentale sur la nature humaine. Et une illusion dangereuse pour la pérennité et l’efficacité des organisations.

Sur le même thème, voir aussi Caroline Talbot, MBA : les universités américaines revoient leur copie, in LesEchos.fr du 8 juin 2009
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mercredi 3 juin 2009

Krach ou boom des valeurs ? Les valeurs des entreprises françaises face à la crise

Une nouvelle étude du cabinet Inférences : téléchargeable ici

Leviers performants pour accompagner les changements, les valeurs semblent assez peu intéresser les dirigeants en période de crise. Focalisés sur des sujets opérationnels dont ils attendent des résultats rapides et visibles, ils privilégient souvent une logique court-terme sur une vision long-terme. Pourtant, le pilotage optimal des valeurs permet de mieux traverser une crise, et surtout d’anticiper l’après-crise…


« Excellence » de Lehman Brothers, « professionnalisme » de la SG… quand la réalité divorce avec les mots

Outil de motivation en interne et de différenciation en externe, les valeurs peuvent aussi miner la crédibilité de l’entreprise et déstabiliser son positionnement. « Faire les bons choix ; (…) démontrer notre recherche de l’excellence ; (…) se respecter les uns les autres (…) ; rendre des comptes à la communauté (…) » tels sont quelques-unes des « valeurs » et « principes opérationnels » que l’on pouvait lire dans l’éditorial du dernier rapport annuel de Lehman Brothers. En France, la Société Générale affiche 3 valeurs : « professionnalisme, esprit d'équipe, innovation ». Difficile de penser que les derniers mois ont offert une incarnation convaincante de ce positionnement de marque...
Donner du sens, la formule est usée… au point qu’elle n’en a plus guère ! Pourtant, en cette période critique, la capacité des entreprises à limiter les écarts entre comportements manifestés et comportements souhaités, identité réelle et identité projetée, valeurs revendiquées et valeurs vécues sera décisive.

Deux constats de l’étude : éthique et relation… du trop au trop peu !

> Une logique de l’éthique qui place l’entreprise face à ses responsabilités - Dans le Top 20 des valeurs des entreprises françaises, la famille éthique est surreprésentée. C’est une réponse implicite de l’entreprise à une demande sociale forte en matière de responsabilité, de transparence, de partage et de respect. Un contexte général que la crise actuelle accentue, comme en témoigne le débat sur la « moralisation du capitalisme » et sa forte résonance dans l’opinion. Encore faut-il que ces valeurs éthiques généreusement proclamées répondent vraiment à cet enjeu. En 2001 déjà, la société Enron brandissait fièrement son système de valeurs : « communication, respect, intégrité, excellence »… Si la famille éthique occupe le premier rang dans la typologie des valeurs, les entreprises n’en sont pas moins soulis au régime de la preuve : l’exigence éthique ne se paie pas de mots.

> Une carence relationnelle qui place l’entreprise face à la défiance - Les valeurs relationnelles – proximité, partenariat, confiance, solidarité, diversité… – n’occupent que la troisième place dans le Top 20 des valeurs des entreprises françaises. Pourtant, la notion de relation est au centre du discours de nombreuses entreprises et marques, qui revendiquent la nécessité de nouveaux rapports avec les salariés comme avec les clients, et avec la société civile en général. La crise actuelle est aussi – et peut-être d’abord – une crise de confiance. La présence, et surtout l’incarnation, de valeurs relationnelles dans le système des valeurs des entreprises constituera une réponse à ce besoin de renouveler les rapports avec l’ensemble des parties prenantes. Dans le cas contraire, c’est la crise de confiance qui s’en chargera…

Le développement durable dans une croissance retrouvée, c’est d’abord et avant tout l’entreprise durable : celle dont la vision dépasse le court terme et dont les valeurs garantissent la cohérence.


La méthodologie de l'étude

1. Une analyse en 2 phases : quantitative (analyse lexicométrique) ; qualitative (analyse sémantique).
Le corpus de l’étude a été constitué à partir des entreprises du SBF 120 dotées de valeurs explicites, et de 25 autres entreprises françaises, hors cotation, représentatives des différents secteurs d’activité (INSEE, NAF rev. 2, 2008). Sans prétendre à l’exhaustivité, ce panel est qualitativement représentatif des grandes entreprises françaises et de leurs systèmes de valeurs. Ces derniers ont été extraits d’un corpus constitué par des documents publics corporate des entreprises du panel.

2. Des fiches signalétiques, uniques en leur genre, réalisées sur le Top 20 des valeurs.
Au-delà de données chiffrées (numéro de classement de la valeur, taux d’utilisation par les entreprises) et de l’indication du positionnement dominant de la valeur dans les systèmes où elle apparaît, ces fiches présentent 3 niveaux d’information :
• Description et illustration par des verbatims des usages et connotations relevés
• Eclairage du potentiel de significations de la valeur à travers un cadrage sémantique
• Des remarques et observations, rédigées à partir de l’expérience concrète des consultants d’Inférences, qui soulignent les facteurs de risques et de succès attachés à la valeur

3. Une typologie inédite de 5 familles de valeurs
L’étude, réalisée à partir d’un corpus constitué par des documents publics corporate (sites Internet, rapports annuels, chartes éthiques…) a permis de dégager une typologie de 5 familles de valeurs :
• Ethiques (34 %) : elles connotent un engagement moral de l’entreprise (Humain, Solidarité, Intégrité, Transparence, Équité…)
• Performatives (29 %) : elles renvoient à l’action, à la performance à l’efficacité (Qualité, Réactivité, Expertise, Rentabilité, Pragmatisme…)
• Relationnelles (29 %) : elles concernent l’accent mis sur les relations entre l’entreprise et ses parties prenantes (Proximité, Partenariat, Confiance, Solidarité, Diversité…)
• Psychologiques (8 %) : elles caractérisent des inclinations mentales tantôt cognitives, tantôt émotionnelles (Créativité, Passion, Audace, Enthousiasme, Initiative…)
• Politiques (Pérennité, Indépendance, Démocratie, Leadership, Liberté…)

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