samedi 30 août 2008

L'entreprise et... Dieu

par Charles Muller

Dieu a-t-il sa place dans l’entreprise ? Cette question déroutante fut l’un des débats de clôture de l’Université d’été du Medef, achevée hier, débat dont La Croix rapporte quelques propos. Au-delà de la religion, qui regarde les convictions personnelles de chacun, ce questionnement est un symptôme d’une interrogation plus large, plus multiforme, sur les responsabilités et les finalités de l’entreprise en dehors de ses fondamentaux économiques (profit, croissance). Contrepartie d’un monde de plus en plus ouvert et complexe, où l’information et la communication sont reines car elles signalent en temps réel l’évolution des idées, des motivations, des attitudes, des évaluations de chacun sur son milieu et son époque, les questions économiques sont de plus en plus souvent associées aux problématiques éthiques, sociétales, environnementales – et même spirituelles, parfois, comme le suggère le débat du Medef. Cela signale une logique croissante de contextualisation, c’est-à-dire d’insertion de l’économie dans les autres grandes questions humaines. Du fait de son importance dans la vie personnelle et sociale, l’entreprise est jugée sur ce qu’elle fait et dit, sur sa manière particulière de faire et de dire.
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jeudi 28 août 2008

Les jargons métiers sont des marqueurs culturels

par Jean Laloux

Dans un article de l’édition du 18 août 2008 de la newsletter de Keljob, Antoine Vlastuin rappelle avec raison que la « babélisation » de la communication en entreprise peut nuire à son fonctionnement. Cet éclatement des langages altère en effet la fluidité de la communication entre les métiers, voire entre les individus, et peut, par exemple, ralentir l’avancée de projets transversaux.

En d’autres termes, l’indifférence de l’entreprise à l‘égard de son langage a d’incontestables répercussions sur la productivité, mais aussi sur la cohésion sociale et la manière dont l’identité de l’entreprise est déclinée auprès des collaborateurs.

Si informaticiens, juristes, comptables, etc., se murent parfois dans leur jargon, c’est à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons. Les bonnes : un jargon est un langage dont la précision et la technicité permettent à des pairs de communiquer entre eux de manière efficace, en évitant d’inutiles périphrases ; les mauvaises : un jargon c’est aussi une manifestation de la culture d’un métier, d’une profession, d’une corporation, une manière de revendiquer un territoire linguistique, dont sont exclus les non-initiés, et souvent au détriment d'une culture commune partagée.

Etablir des glossaires, veiller à ce qu’un même produit ou un même process soit qualifié par tous de manière identique, s’attacher à ce que la communication vers toutes les parties prenantes soit lexicalement homogène constitue quelques bonnes pratiques qui sont bien loin d’être toujours appliquées.
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mardi 26 août 2008

80/20

par Charles Muller

L’économiste et sociologue italien Vilfredo Pareto a mis à jour une loi empirique de distribution dans le monde économique : 20 % des clients rapportent 80 % du chiffre d’affaires. Et 20 % des clients représentent aussi 80 % des réclamations – mais ce ne sont généralement pas les mêmes. La loi a été vérifiée ailleurs : 20 % des citoyens représentent 80 % des revenus fiscaux (car ces 20 % détiennent 80 % des ressources économiques), par exemple. Le marketing et le management utilisent souvent cette distribution des 80/20 dont la robustesse a été amplement testée, même si elle n’est pas universelle bien sûr, puisqu’il existe d’autres distributions statistiques.

Et dans le langage ? On peut supposer à titre d’hypothèse que 20 % des messages émis donnent 80 % des informations indispensables au sein de l’entreprise. Il est évidemment intéressant de se concentrer sur ces informations utiles, ne pas perdre de temps, d’énergie ni d’argent avec du bruit, des données parasites n’ajoutant rien à la compréhension.

Le problème : le langage « parfait » n’existe pas, toutes nos propositions de la langue ordinaire contiennent des équivoques, des ambiguïtés, des présupposés, des polysémies. Il faut beaucoup parler ou écrire pour être absolument sûr d’être bien compris. D’où l’importance d’un travail sur le langage commun au sein de l’entreprise. Et particulièrement du langage écrit : mail, courriers, présentations, rapports. À l’oral, dans un rapport direct de discussion ou de réunion, nous levons en effet les équivoques plus facilement et plus rapidement. À l’écrit, la pensée doit être formalisée de manière plus concise, plus expressive, la frappe est plus lente que la parole, et l’interlocuteur est distant : on ne dispose pas des atouts de la communication directe, verbale ou non-verbale.
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jeudi 21 août 2008

Quand le texte domine encore le son et l'image...



Selon Les Echos et l’Interactive Bureau Advertising, les investissements publicitaires dans l’internet, au premier semestre 2008 en France, dépassent désormais ceux de la radio.
  1. Presse : 3,821 M€ (+ 4,3 %)
  2. Télévision : 3,799 M€ (+ 1,8 %)
  3. Internet : 1,828 M€ (+38,1 %)
  4. Radio : 1,649 M€ (+ 3,2 %)
On avait annoncé la fin la Galaxie Guteneberg (texte) au profit de la Galaxie McLuhan (son, image). Mais il est intéressant de noter que la presse écrite est toujours la première cible de l’investissement publicitaire. Et que l’Internet, qui reste un média à dominante écrite aujourd’hui, surgit pour bousculer cette évolution pressentie des outils d’information et de communication.
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Langues, gestes et énoncés

par Charles Muller

Susan Goldin-Meadow et ses collègues viennent de réaliser une expérience intéressante : 40 sujets de langues différentes (anglo-saxonne, chinoise mandarin, espagnole et turque) ont observé des vidéos. Ils devaient ensuite exposer le contenu des actions de cette vidéo par la parole, puis par les gestes. Or, en communication purement gestuelle, l’ordre de l’exposé a toujours été sujet-verbe-objet (SVO) – par exemple « enfant achète glace ». Mais dans les langues parlées, notamment le turc, cet ordre peut être différent (sujet-objet-verbe). Il semble donc que l’énoncé SVO correspond à une représentation fondamentale de la réalité par l’esprit, les diverses grammaires (ou créations littéraires, poétiques, etc.) ayant là-dessus créé une diversité culturelle d’expression.
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vendredi 15 août 2008

Entreprises : pourquoi des valeurs ?



Certaines entreprises se dotent depuis quelques années d’une « charte des valeurs ». Simple effet de mode ? On peut en douter. L’attribution de valeur est le propre de tout humain et de tout groupe humain : valoriser, cela signifie tout simplement exprimer des préférences, faire des choix. C’est vrai des groupes politiques, comme la devise « liberté, égalité, fraternité » de notre République. C’est vrai des groupes religieux, chaque spiritualité développant des hiérarchies de valeurs adressées aux croyants.

Dans le domaine économique, on pourrait penser que les valeurs sont inutiles, ou plutôt qu’elles sont entièrement dictées par l’activité économique elle-même : la profitabilité, la productivité, la compétitivité. Mais il n’en est rien. Une entreprise n’est pas seulement une réalité économique, c’est d’abord une réalité humaine : un groupe humain qui coopère, en vue d’un certain but, dans un certain domaine, en compétition avec d’autres groupes humains (d’autres entreprises). L’entreprise est aussi une réalité historique et culturelle : elle a un passé, des mythes fondateurs, des hauts faits, elle possède un domaine d’excellence dans certaines pratiques données, elle se développe dans un contexte particulier qui possède ses codes.

Les valeurs d’une entreprise remplissent trois fonctions :
Identification : elles donnent aux collaborateurs comme aux partenaires de l’entreprise des axes de comportement et de réflexion définissant une certaine identité.
Différenciation : en posant l’identité, elles définissent la singularité d’une entreprise par rapport à ses concurrentes dans le même secteur d’activité.
Motivation : elles forment des repères et des règles de conduite donnant du sens au travail individuel et collectif au sein de l’entreprise.

Expression du savoir-être et du savoir-faire de tout groupe humain, les valeurs ont donc naturellement leur place dans l’entreprise. Et ce d’autant plus que le travail occupe un rôle central dans la vie moderne et que l’économie est au cœur des préoccupations collectives.
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jeudi 14 août 2008

La force des mots observée... dans notre cerveau

par Charles Muller

Quand nous observons une personne éprouver du dégoût, du plaisir ou de la souffrance, une petite région du cerveau s’active : l’insula antérieur et l’opercule frontal adjacent, l’ensemble étant appelé IFO. Mais que se passe-t-il quand nous regardons un film ou lisons un texte exprimant ces sensations ? Mbemba Jabbi et ses collègues (Université de Groningen, Pays-Bas) ont réalisé un scanner IRM sur 12 volontaires pour le savoir : ceux-ci goûtaient un produit répulsif (quinine), regardaient une vidéo ou lisaient une histoire impliquant du dégoût. Résultat : les trois expériences activaient de la même manière l’IFO. « C’est la raison pour laquelle les films ou les livres marchent, note un co-auteur de l’étude, Christian Keysers. Ils simulent l’aire de notre cerveau impliqué dans ce que cela fait réellement d’être dégoûté ».

Cette expérience intéressante montre que nos sensations et émotions fondamentales sont activées de la même manière par la vision, un sens très ancien, et par l’écriture, une invention très récente (à l’échelle de l’évolution bien sûr). La force des mots est inscrite dans nos cerveaux.

Référence : Jabbi M. et al. (2008), A common anterior insula representation of disgust observation, experience and imagination shows divergent functional connectivity pathways, PLoS ONE, 3(8): e2939, doi: 10.1371/journal.pone.0002939
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