samedi 19 décembre 2009

L’échec de Copenhague et les contradictions de la RSE

De l’avis général des observateurs, la conférence de Copenhague sur la régulation des émissions de gaz à effet de serre s’est achevée sur un échec. Beaucoup attendaient un texte ambitieux, c’est-à-dire juridiquement contraignant, pour prendre la relève de Kyoto : il faudra se contenter d’une déclaration politique sans contrainte ni chiffrage précis, et donc sans certitude réelle sur sa mise en pratique.

Pour analyser cet échec, de nombreux facteurs sont mis en avant : frilosité des États-Unis malgré Obama, impassibilité de la Chine qui vise à préserver d’abord sa croissance et sa souveraineté, blocage des pays pauvres ou émergents qui réclament plus de compensations, maladresses diplomatiques des uns et des autres, court-termisme congénital du capitalisme…

Nous voudrions proposer ici une hypothèse simple et iconoclaste, prenant un peu de hauteur par rapport au rythme trépidant de l’actualité : l’échec de Copenhague révèle peut-être une contradiction non résolue, et éventuellement non soluble, entre la responsabilité sociale et la responsabilité environnementale du dirigeant, que ce soit le dirigeant politique ou le dirigeant économique.

Car les faits sont têtus, il est toujours utile d’avoir les ordres de grandeur à l’esprit. Ainsi, plus de 80 % de l’énergie provient des sources fossiles. Environ 4,5 milliards d’humains appartenant à l’ancien tiers-monde sont engagés dans un processus de développement rapide, ils seront environ 7 milliards en 2050 selon les scénarios démographiques les plus probables. L’Occident a fondé son développement sur deux siècles d’exploitation intensive du charbon, du gaz et du pétrole, pour une population qui était alors de quelques centaines de millions d’individus : on voudrait obtenir la même croissance pour dix fois plus de monde, en quatre fois moins de temps… et tout cela en se privant au maximum de l’énergie ayant le meilleur rapport rendement/coût!

Il n’est pas difficile de concevoir que la problématique ainsi posée relève de la quadrature du cercle. Sauf à défendre une position ouverte de « décroissance »… mais en pleine crise économique, elle est peu audible chez les pays riches, encore moins chez ceux qui entendent le devenir.

Pourquoi le cabinet Inférences s’intéresse-t-il à cette question ? En janvier 2010, nous publierons, en collaboration avec UJJEF-Communication et entreprise, notre prochaine étude consacrée au discours du développement durable dans les entreprises françaises. Il se trouve que les chefs d’entreprises sont confrontés, à leur échelle, au même type de choix fondamental : arbitrer entre la dimension sociale du développement durable, qui suppose la croissance de l’entreprise et l’équité dans le partage de sa richesse, et sa dimension environnementale, qui suppose de donner priorité à la limitation des impacts énergétiques, climatiques et naturels résultant de l’activité… et donc de la croissance.

Or, si certaines mesures s’inscrivent assurément dans une logique « gagnant-gagnant » – par exemple, travailler sur l’efficience énergétique réduit les coûts, augmenter la compétitivité et limite les émissions carbone –, rien ne dit que l’entreprise ne soit pas confrontée, dans les années à venir, aux mêmes contradictions que les politiques.
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jeudi 17 décembre 2009

LaboCom >11< Quand l’overdose d’informations menace


Depuis l’invention de la tablette d’argile jusqu’à celle de l’ordinateur, l’information se produit et se transmet de plus en plus facilement et à un coût de moins en moins élevé. La conséquence pratique est que nous sommes submergés d’informations. On a estimé qu’un urbain du début du XXIe siècle croise autant d’informations différentes en une semaine qu’un paysan du XVIIIe siècle dans toute sa vie. Résultat : nous sommes surinformés, et peinons de plus en plus à distinguer les signaux essentiels dans le « bruit » du flot continu.

Dans la Harvard Business Review, Paul Hemp fait la synthèse de deux études parues sur le sujet. Dans l’une, on apprend qu’un tiers des 350 mails hebdomadaires reçus chaque semaine par les salariés se révèle inutile, alors que les collaborateurs consacrent en moyenne deux heures par jour aux mails reçus. Dans l’autre, on constate qu’il faut environ 25 minutes pour se reconcentrer sur un travail après avoir été interrompu par une information parasite. Intel a chiffré à 1 milliard de dollars le coût annuel de la surinformation. Pour la petite histoire, 60 % des Américains lisent désormais leurs mails dans la salle de bain, 2 % à l’église, 11 % se cachent de leur conjoint pour consulter leur courrier professionnel…

Le plus étonnant, nous dit Paul Hemp, est que les entreprises savent tout cela, même intuitivement, et que la plupart ne font… rien. La perturbation cognitive due à une mauvaise gestion de l’information est pour l’instant acceptée comme une fatalité. Or, les solutions existent. Des logiciels permettent de poser un timbre virtuel sur les courriers internes, d’autres d’attribuer une valeur relative aux courriers et à leurs sources, d’autres encore de créer des liens intelligents au sein d’une masse d’informations éclatées. Mais au-delà des outils technologiques, les individus comme les organisations doivent impérativement se doter de guides et de formations pour survivre dans la jungle informationnelle. Combien le font ?

Référence : Hemp P (2009), Death by information overload, Harvard Business Review, septembre.
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mardi 15 décembre 2009

LaboCom >10< Effet Pygmalion : une clé pour le management du changement


Pygmalion, sculpteur de l’Antiquité, créa la statue d’une femme si belle qu’il en tomba amoureux. Pour rendre cet amour possible, la déesse Aphrodite donna vie à la statue. En psychologie comme en pédagogie, on appelle effet Pygmalion (ou effet Rosenthal, du nom de son théoricien), toute situation dans laquelle les modalités d’un apprentissage influencent (positivement ou négativement) les résultats de ceux qui le reçoivent.

Une équipe de chercheurs néerlandais s’est intéressée à l’effet Pygmalion au sein des organisations, dans les relations entre des leaders et des collaborateurs impliqués dans l’apprentissage d’une tâche. 904 rapports dyadiques managers/subordonnés issus de dix organisations différentes ont été analysés. Les chercheurs ont utilisé cinq facteurs d’observation : densité des relations ; spécificité d’un objectif ; difficulté d’un objectif ; opportunité d’apprentissage ; feedback.

Les résultats montrent que les collaborateurs réussissent d’autant mieux à progresser que les objectifs présentés sont définis comme spécifiques et difficiles. Parmi les autres facteurs, c’est l’opportunité d’apprentissage pour le sujet qui influence sa réussite. Eviter flou et généralités dans les directives est donc un gage d’efficacité et de progrès.

Un enseignement qu’il convient de méditer quand il est question d’accompagnement du changement dans l’entreprise. Mesure d’impacts, valorisation des acteurs, définition d’objectifs aussi précis qu’accessibles, sensibilisation et pédagogie ad hoc : le management du changement comme vous l’avez toujours rêvé !

Référence : Bezuijen XM et al (2009), Pygmalion and employee learning : The role of leader behaviors, Journal of Management, 35, 5, 1248-1267, doi : 10.1177/0149206308329966
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samedi 12 décembre 2009

LaboCom >9< Quand pouvoir et incompétence rendent agressif…


L’image du manager incompétent préférant malmener ses équipes plutôt que d’assumer ses décisions fautives est si répandue qu’elle a peut-être quelques fondements dans la réalité…

Nathanael J. Fast et Serena Chen, professeurs de management pour l’un et de psychologie pour l’autre, à l’Université de Californie, ont mené quatre expériences distinctes pour essayer de comprendre les liens entre pouvoir et agressivité. Leur hypothèse de départ était celle de l’ego menacé : l’agression comme réaction de défense.

Dans l’une de ces expériences, des volontaires devaient au préalable préciser dans quelles situations passées ils se sont sentis puissants et compétents, ou au contraire impuissants et incompétents. Ce type de mise en situation ayant pour fonction de conditionner les sujets pour les rapprocher le plus possible des états mentaux analysés ; en l’occurrence, puissance/impuissance et compétence/incompétence.

Les mêmes volontaires devaient ensuite « punir » une personne ayant mal répondu à un test, par l’émission d’un son strident allant de 10 à 130 décibels. Les punisseurs les plus sévères (71 décibels en moyenne) se sont révélés être les personnes se percevant comme à la fois puissantes et incompétentes. Quand, dans une autre phase de l’expérience, les mêmes se sont vus récompensés pour leur niveau de compétence (donc rassurés sur ce qu’ils croyaient être leur faiblesse), l’intensité moyenne des “punitions” administrées a chuté. Ce n’est donc pas l’idée que son pouvoir est menacé qui est à l’origine des tensions relationnelles entre le manager et son équipe, mais bien l’idée qu’il n’est pas à la hauteur de son pouvoir.

Aux États-Unis, 54 millions de personnes s’estiment victimes de brimades infondées au travail… Et en France ?

Référence : Fast NJ, S Chen (2009), When the boss feels inadequate : Power, incompetence, and aggression, Psychological Science, e-pub, doi : 10.1111/j.1467-9280.2009.02452.x
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mercredi 9 décembre 2009

LaboCom >8< Croyez-moi, je ne sais pas de quoi je parle !

Plus l’information circule facilement, plus nous sommes confrontés à des sources d’expertise en nombre croissant. « Quels sont les facteurs qui rendent ces expertises plus ou moins influentes ? », se sont demandés Uma R. Karmarkar et Zakary L. Tormala, de l’Université Stanford.

Des volontaires ont été amenés à réagir devant trois types de jugements concernant la qualité d’un restaurant. L’émetteur du jugement était tantôt un novice, tantôt un expert ; le contenu du jugement, tantôt marqué par la certitude (positive ou négative), tantôt par l’incertitude.
Les volontaires se sont montrés plus sensibles et plus intéressés par la dissonance entre la source et le propos. En d’autres termes, un parfait novice qui s’exprime avec une forte conviction, et un expert reconnu qui manifeste une opinion empreinte de doute, se montrent les plus efficaces pour retenir l’attention et convaincre.

« Dans le contexte d’une analyse de produit ou de service, être confiant dans votre opinion ne signifie pas nécessairement que vous serez convaincant, concluent les auteurs. Paradoxalement, un expert pourra convaincre plus de gens s’il devient modeste ou admet l’incertitude de ses opinions ». Mais ils précisent : « Pour que toute cette attention soit payante en dernier ressort, il faut toujours avoir de bonnes raisons de soutenir ses opinions ». La meilleure stratégie d’influence finit toujours par se heurter au mur de la réalité…


Référence : Karmarkar UR, ZL Tormala (2009), Believe me, I have no idea what I'm talking about : The effects of source certainly on consumer involvement and persuasion, Journal of Consumer Research, e-pub, doi : 10.1086/648381

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lundi 30 novembre 2009

L'éthique, l'entreprise et la communication selon Michela Marzano

Dans un riche entretien accordé à l’UJJEF, la philosophe Michela Marzano conteste la légitimité des chartes éthiques, chartes de valeurs ou codes de comportement au sein de l’entreprise. Elle avance notamment les arguments suivants : 
  • « La recherche effrénée de valeurs comme la multiplication des chartes éthiques au sein de l'entreprise dénote, selon moi, une volonté de donner des réponses immédiates aux questionnements actuels, individuels et/ou sociaux. D'une certaine manière, il semble que l'on "fasse" de l'éthique comme de la publicité ou de la communication. Ce n'est pas possible dans un domaine qui, au contraire, exige une véritable réflexion de fond. »
  • « La mission prioritaire de l'entreprise est de se concentrer sur son activité, non pas de produire des discours éthiques. Nombre d'entre elles tiennent à se présenter, à l'heure actuelle, comme des "institutions totales", c'est-à-dire jouant un rôle autant dans la sphère économique, politique, sociale, qu'environnementale. Doivent-elles prendre à leur charge le rôle défaillant de l'Etat, la crise sociale et familiale, les problèmes climatiques ? La conjoncture actuelle et les récentes faillites économiques tendent à démontrer le contraire.  » 
  • « Il existe des lois nationales et internationales qui régulent la société et son rapport avec l'autre ou l'environnement. Ces lois doivent être respectées à la lettre par les entreprises ; elles ne doivent surtout pas être réécrites ou interprétées au sein de chartes éthiques. Le danger est là : édicter des lois à sa mesure et s'affranchir de la morale et de la politique... » 
  • « Plus que de se précipiter sur la conception de chartes éthiques et créer des documents à l'utilisation toute relative, peut-être vaudrait-il mieux pour une entreprise se consacrer aux questions cruciales du management. Il est urgent d'engager une réflexion de fond sur les modes de management pour en comprendre les limites et ainsi parer les conséquences actuelles : démotivation, suicide des salariés... » 
  • « D'une certaine manière, c'est donner au salarié une recette de vie et insinuer peu à peu qu'épanouissement personnel et réussite professionnelle vont de pair. Un rapprochement dangereux qui est source de confusion actuelle car réussir sa vie se réduit à réussir professionnellement... » 
  • « Aujourd'hui, nombre de chefs d'entreprise se posent des questions dont celles de remotiver leurs salariés. La plupart d'entre eux restent sur l'idée que la motivation ne peut naître que d'une adhésion totale à l'entreprise, qu'elle-même doit être porteuse de sens. Personnellement, je pense qu'un changement plus profond des mentalités doit se faire jour. Si l'importance du travail dans la vie de chacun est fondamentale, cela ne signifie pas qu'elle est tout. »
Notre expérience des problématiques de valeurs et d’identité dans l’entreprise nous amène à porter sur ces sujets un regard assez différents de celui de Michela Marzano. A ses prises de positions nous objectons les points suivants :
  1. Les codes éthiques et règles de comportement dans le monde de l’entreprise ne visent en aucun cas à se substituer à la loi générale, nationale ou internationale. Il va de soi qu’un règlement interne contraire à ces lois serait susceptible d’être contesté devant les tribunaux et légitimement annulé. Au contraire, la loi (notamment dite de « responsabilité sociale des entreprises » en France) exige le respect d’un certain nombre de règles et de référentiels. Il est par conséquent recevable que l’entreprise choisisse, par la formulation d’un code éthique ou comportemental, le meilleur moyen de parvenir en son sein au respect de ces règles et référentiels (ISO, par exemple). Plus généralement, il paraît également légitime (et conforme à une certaine idée de la transparence) qu’un groupe précise à ses membres les normes minimales d’un vivre-ensemble (pour l’éthique générale) ou du travail (pour l’étique des affaires : confidentialité, refus de la corruption, etc.). Si l’on prenait Michela Marzano au mot, on pourrait dire qu’une école, un hôpital ou une association n’a pas à se doter de règlement interne car il existe déjà des lois pour encadrer les comportements, les opinions, les activités qui s’y expriment. Or, de nombreux acteurs privés (mais aussi des acteurs publics, institutionnels et territoriaux) éprouvent le besoin de rappeler leurs normes de bonne conduite, par exemple à travers des engagements qui portent le témoignage du « sens » donné à l’action de ses membres. 
  2.  Nous partageons entièrement l’idée que l’entreprise se fourvoie si elle prétend devenir une « totalité » englobant toutes les dimensions de la vie de ses collaborateurs, ou bien exigeant d’eux le sacrifice de leur vie privée et de leurs convictions personnelles. Cette critique peut cependant vite confiner à la caricature. Inversement, Michela Marzano n’aura sans doute pas de difficultés à reconnaître que l’entreprise dans sa réalité quotidienne n’est pas un simple groupe fonctionnel, une addition d'atomes individuels se croisant pour accomplir mécaniquement des tâches purement abstraites. En tant que groupe, l’entreprise a une histoire, une vision, un imaginaire, une culture… des valeurs. Et les relations qui s’y nouent, si elles ont pour motif initial la production de biens et de services, excèdent toujours ce productivisme « froid ». D’un côté donc, un certain discours critique sur « l’horreur économique » (obsession des seules productivité, rentabilité, profitabilité…) ; de l’autre, l’entreprise appelée à se limiter à sa fonction économique et productive… de quoi rendre schizophrène !
  3. Ajoutons sur ce point, que l’incontestable tendance des entreprises à se revendiquer, plus ou moins consciemment, « fait social total » (Marcel Mauss), vient en partie de la demande sociétale elle-même. Il faudrait du reste distinguer le discours corporate d’une entreprise, des discours de marques. Ces derniers assument en effet davantage cette revendication en proposant des narrations qui sont autant d’identifications possibles de l’individu à une aspiration, un désir, une projection de soi, une vision du monde, etc. L’effacement des corps intermédiaires – en quasi voie d’extinction et que les réseaux sociaux rêvent de remplacer – a mis l’entreprise face à un faisceau d’injonctions : être transparente, respectueuse de ses salariés, de toutes ses parties prenantes et aussi de l’environnement, sans oublier le respect des principes d’équité et de diversité, de responsabilité des projets et des actions aux yeux des médias en particulier, impliquée dans la vie de la cité, accueillante et sécurisante mais aussi capable d’investir et de prendre des risques, etc. Ces injonctions multiples et souvent contradictoires ont, sans doute à tort, porté les entreprises à vouloir y répondre plutôt que d’assumer une réalité nourrie de vérités parfois incompatibles avec un plan de com’… Ce « fait social total » que serait devenue l’entreprise est sans doute aussi à rechercher du côté d’une organisation sociale qui, en privilégiant la fonction économique sur toutes les autres, y compris le politique, a mécaniquement placé entre les mains des acteurs économiques le devoir d’être cause efficiente et cause finale. 
  4. Opposer valeurs et management est une erreur, puisque le management par les valeurs est une réalité dans nombre d’entreprises. Cette forme de management peut offrir une alternative crédible à un management par objectif ou un « management par la terreur ». Quand une entreprise se dote de valeurs à partir d’un examen critique de ses propres pratiques, elle indique simplement à ses collaborateurs et à l’ensemble de ses parties prenantes dans quel état d’esprit et selon quelles modalités elle entend accomplir sa mission. Du point de vue du salarié, il vaut mieux connaître les attentes des entreprises afin de choisir la mieux adaptée à sa propre personnalité et à ses propres attentes. Les valeurs constituent donc des repères structurants à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise. Le jargon des communicants parle, par exemple, de « marque employeur » pour désigner une identité dans laquelle de futurs collaborateurs peuvent se reconnaître. 
  5. Mais bien sûr, un discours des valeurs artificiellement plaqué sur une entreprise se traduira par des effets contre-productifs (démotivation, cynisme, double langage et dissonance cognitive, etc.). Il est exact que certaines entreprises adressent à leurs collaborateurs des injonctions contradictoires ou incompatibles. Par exemple, un discours de valorisation de l’autonomie et de la flexibilité associée à une pratique de respect de la hiérarchie, de reporting exagérément précis et contraignants, d’absence d’initiatives et de répétitivité des actes. Mais de telles contradictions ne permettent nullement de conclure que tout discours sur les valeurs et l’éthique est caduc ! Cela signifie simplement que certaines entreprises en sont restées au stade cosmétique des valeurs (une sorte de value-washing, comme on parle de greenwashing), se mentant à elles-mêmes et pensant que des jeux de langage et quelques « accroches » suffisent à masquer les réalités. Il est certain que de telles entreprises n’auront guère de crédibilité dans leurs discours éthiques et axiologiques ; et qu’elles auront au final bien plus de difficulté à obtenir de leurs collaborateurs une adhésion réelle à leur vision (l’exemple Enron cité par Michela Marzano). 
  6. Enfin, en appeler à un « changement plus profond des mentalités » pour remotiver les salariés sur d’autres bases que « l’adhésion totale à l’entreprise » ou rappeler que le « sens » dans l’entreprise doit consister à « fixer un cap à longue échéance […] seul moyen d’établir les conditions d’une relation de confiance sans oblitérer la possibilité de contraintes et d’imprévus pour arriver à son but. […] » ou encore en appeler à éveiller « un véritable changement anthropologique, […] à savoir que tout un chacun est faillible… même le pdg ! », l’objectif paraît bien lointain du point de vue de l’entreprise dont le tropisme est l’opérationnalité avant tout… d’autant plus lointain que cette entreprise devrait désormais, selon Michela Marzano, se recentrer exclusivement sur sa seule fonction économique, de sorte qu’elle devrait, en bonne logique, rester sourde à ces questions de sens et de vision !
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vendredi 27 novembre 2009

LaboCom >7< Souriez, vous êtes influents !

Pour les modèles rationnels de la prise de décision, les choses sont entendues : nous opérons nos choix par un calcul d’utilité ne faisant pas intervenir les émotions. Mais ce modèle bat de l’aile depuis quelque temps déjà, notamment sous l’influence d’une discipline émergente, la neuro-économie. Ces travaux visent à utiliser l’approche neuroscientifique de la cognition pour comprendre les comportements économiques.

Trois chercheuses en donnent un exemple à travers une expérience impliquant des sujets à la recherche d’un appartement à acheter. Ces derniers devaient donner leur opinion (achat probable ou non) selon deux critères définis par eux comme prioritaires : le prix et la clarté. Dans un tiers des cas, on a seulement montré aux participants les photos de l’appartement. Dans les deux autres tiers, ces photos étaient précédées par la photo d’un visage de face, soit souriant, soit triste. Les chercheurs ont enregistré le temps de réaction des volontaires, ainsi que le potentiel évoqué N200 (signale électrique qui précise le traitement cérébral de l’information). Résultats : la présentation des visages exprimant un sentiment marqué – quel qu’il soit – accélère la prise de décision positive ou négative ! De plus, le potentiel N200 est plus net face à des émotions positives et associé à des prises de décision plus rapides selon le critère prix (mais pas clarté).


Nos attitudes influent donc très probablement les processus de prise de décision de nos interlocuteurs, au-delà des contenus purement formels et rationnels des échanges que nous avons avec eux. Une touche d’émotion serait donc bénéfique aux affaires… qu’on se le dise !


Références : Steffen AC, Rockstroh, B, Jansma, B, Brain evoked potentials reflect how emotional faces influence our decision making, Journal of Neuroscience, Psychology and Economics, 2 (1), 2009, 32-40, doi:10.1016/j.biopsycho.2007.01.006


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mardi 17 novembre 2009

LaboCom >6< Le syndrome du chercheur d’or

Tous les décideurs cherchent des informations fiables pour alimenter leurs choix stratégiques. Ces informations sont cependant rares et souvent difficiles à constituer.

Susan Glover, de l’Université de Californie, a analysé les archives de la ruée américaine vers les métaux précieux au XIXe siècle – en l’occurrence, dans les mines d’argent de Gothic, Colorado. L’examen exhaustif de la presse de l’époque révèle que les concentrations de ressources minérales sont systématiquement surévaluées dans les journaux locaux. Ce qui a conduit à un afflux de prospecteurs mal informés. En termes d’écologie humaine (la spécialité universitaire du Dr Glover), on parle d’une stratégie sous-optimale dans l’approvisionnement depuis le nid central (central place foraging). Autrement dit, une dépense collective de temps et d’énergie disproportionnée par rapport à la disponibilité réelle des ressources. 

Évidemment, ce syndrome du chercheur d’or n’est pas sans rappeler les bulles spéculatives récentes (Internet en 2000-2001, immobilier, subprimes et actifs pourris en 2007-2008) ou anciennes (depuis la tulipomanie du XVIIe siècle), ni bien sûr le rôle joué par les médias dans la surévaluation – ou la sous-évaluation – de phénomènes macro-économiques. S’il est impossible de maîtriser totalement la véracité et la fiabilité des informations, surtout dans nos sociétés où les sources croissent exponentiellement, leur qualification et leur hiérarchisation sont d’ores et déjà un enjeu cognitif central, aussi bien pour l’architecture des connaissances que pour le management du risque.

Cette recherche rappelle notamment la nécessité de dresser des cartographies cognitives et sémantiques des données présentes dans l'environnement de l'entreprise. De ce point de vue, la gestion qualitative des connaissances – et non plus seulement quantitative – constitue une authentique démarche d’aide à la décision.


Référence : Glover SM (2009), Propaganda, public information and prospecting : explaining the irrational exuberance of central place foragers during a late nineteenth century Colorado silver rush, Human Ecology, doi : 10.1007/s10745-009-9270-1

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mardi 10 novembre 2009

LaboCom >5< Votre entreprise est-elle préparée aux “tweets” ?

Lancée en 2006, l’application Twitter est un outil de réseau social et de microblogging. Elle permet à son utilisateur d’envoyer gratuitement des messages brefs par Internet, SMS ou messagerie instantanée – messages d’un maximum de 140 caractères appelés « tweets ». Twitter connaît une popularité croissante, comme on l’a vu encore assez récemment lors des élections iraniennes. Selon les analystes, il s’agit du service web 2.0 ayant connu la plus forte croissance au cours des derniers mois. On estime à 6 millions le nombre d’utilisateurs quotidiens, avec une projection de 20 millions en début d’année prochaine. En quoi cette microcommunication peut-elle intéresser les entreprises ?

Trois chercheurs (Bernard Jansen, Mimi Zhang, Kate Sobel) et le directeur scientifique de Twitter (Abdur Chowdhury) viennent d’étudier un demi-million de tweets. Il en ressort que 19 % d’entre eux contiennent des informations relatives à une marque. Parmi ceux-ci, 20 % expriment un jugement de valeur vis-à-vis de la marque, positif dans la moitié des cas et négatif dans le tiers. Selon les auteurs de l’étude, dans la mesure où Twitter développe une microcommunication interpersonnelle au plus proche de l’utilisateur, son impact sur la réputation des marques pourrait être déterminant.

A l’heure où, tendanciellement, la maîtrise de leur réputation leur échappe de plus en plus, les entreprises auraient avantage à connaître les grands schémas discursifs et mentaux qui organisent les représentations de leurs parties prenantes. Un travail de veille sémantique, en quelque sorte, pour mieux anticiper et construire du sens à défaut de pouvoir le maîtriser.

Référence : Bernard J. Jansen et al. (2009), Twitter power : Tweets as electronic word of mouth, Journal of the American Society for Information Science and Technology, doi : 10.1002/asi.21149 

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mardi 3 novembre 2009

LaboCom >4< Par qui remplacer un mauvais dirigeant ?

Quand un dirigeant a commis des erreurs ou des fautes dans sa gestion, il est remercié et remplacé. Souvent, on lui choisit un successeur en interne, supposé mieux connaître l’entreprise et reprendre plus aisément le droit chemin. Mais le bon critère de choix, selon une étude publiée par Adam Galinsky, Brian Gunia et Niro Sivanathan, ce serait plutôt de choisir un nouveau dirigeant n’ayant absolument aucun lien physique ni psychologique avec l’ancien.

Les trois chercheurs ont analysé la prise de décision dans plusieurs situations : investissements financiers, choix personnels, enchères. Dans les trois cas, ils ont mis en évidence un phénomène appelé « piège par procuration » : nous sommes portés à ne pas nous éloigner des décisions initiales que nous avons observées chez un proche, même si nous perdons de l’argent en agissant ainsi.

Commentaire des auteurs : « Nous savons que les humains sont des êtres sociaux destinés à chercher des attaches et des connexions aux autres. La recherche a montré que quand deux personnes nourrissent des liens psychologiques réciproques, ils sont portés à coopérer et s’aider financièrement. Mais notre travail suggère qu’ils sont aussi susceptibles de surenchérir sur leurs mauvaises décisions ». Une autre lecture possible des conséquences observables de la relation entretenue au sein de France Telecom entre Didier Lombard et son ex-n°2, Louis-Pierre Wenes. Le choix de Stéphane Richard aurait-il été guidé par cette étude ?

Références : Galinsky A., Gunia B. (2009), Vicarious entrapment : Your sunk costs, my escalation of commitment, Journal of Experimental Social Psychology, doi : 10.1016/j.jesp.2009.07.004

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mardi 27 octobre 2009

LaboCom >3< Suicide au travail : une synthèse au-delà de l’actualité

Depuis plusieurs semaines, l’actualité pose de manière tragique la question du stress au travail et du suicide dans le cadre professionnel. Pour éclairer cette problématique sans pour autant désigner des responsabilités ou des culpabilités, comme l’émotion incite parfois à le faire, nous revenons sur un article de Jong-Min Woo et Teodor T. Postolache paru l’année dernière. Cet article qui présente l’avantage d’être une synthèse de la littérature existante sur le sujet (1). Les deux auteurs en sont psychiatres, l’un en Corée (École de médecine de l’Université Inje) et l’autre aux États-Unis (École de Médecine de l’Université du Maryland).

L’amour et le travail sont deux domaines de l’existence où les individus trouvent des accomplissements majeurs. Mais ce sont aussi deux domaines fréquemment associés à des facteurs de stress, dont certains représentent une menace pour la vie elle-même. Le milieu professionnel est spécifiquement associé au stress pour de nombreuses raisons : insécurité de l’emploi, mutations rapides du cadre de travail, compétition entre individus, services ou groupes, mobilisation cognitive intense. Cela peut entraîner des affections psychologiques (perte d’estime de soi, sentiment d’infériorité ou d’inutilité, peur de l’incertitude) manifestations psychosomatiques (par exemple insomnie, anxiété, dépression) ainsi que des conséquences professionnelles (désintérêt pour son travail, absentéisme, baisse de performance). Il est à noter que le chômage est lui aussi fortement associé aux troubles psychiatriques comme à la mortalité par suicide.

Une inégalité démontrée face au suicide
Les troubles de l’humeur sont répandus dans la population générale et représentent une perte importante de productivité dans le monde du travail. On estime ainsi que 4 à 10 % des employés souffrent de dépression caractérisée (épisode dépressif majeur), 1 à 2 % de trouble bipolaire. Les femmes sont deux fois plus concernées que les hommes. Le lien entre l’augmentation tendancielle du stress sur le lieu de travail et la hausse observée des dépressions et des suicides a été proposé par certains auteurs (Mausner-Dorsch et al 2000, Steven 2000, Melchior et al 2007), mais le rapport direct de causalité n’est cependant pas établi. Il a été montré que les taux de dépression et de suicide varient selon les types d’emplois, avec certaines professions à haut risque. Pour la dépression : service de santé, travail social, éducation, restauration ; pour le suicide, professions juridiques, dentistes, artistes, mécaniciens, garagiste, travail du bois (les taux de suicide les plus élevés s’observent cependant dans les professions ayant accès à une arme – police, armée – ou à des substances toxiques – personnel médical –, ainsi que dans le monde rural et agricole).

Les 6 causes possibles du suicide au travail
On peut classer dans six catégories les facteurs du milieu professionnel ayant un effet sur l’humeur et, potentiellement, sur le risque suicidaire
- Environnement chimique : le trouble est directement associé à une intoxication entraînant des perturbations neurales.
- Environnement physique : un éclairage de mauvaise qualité a des effets sur le fonctionnement cérébral (mélatoninergique, sérotoninergique) et peut être associé à des dysphories. Les expositions au bruit, à l’humidité ou à des variations thermiques sont des facteurs de stress reconnus.
- Environnement biologique : l’exposition aux virus, bactéries, parasites et agents allergènes affecte indirectement l’humeur.
- Environnement psychologique : il est bien sûr déterminant dans l’équilibre des individus. Plusieurs études longitudinales ont montré que le stress dans le cadre professionnel est un facteur de risque pour la dépression et l’anxiété, de même qu’une charge de travail excessive et des pressions extrêmes sur l’emploi du temps.
- Environnement social : les interactions de l’individu avec ses collègues et sa hiérarchie sont également déterminantes, selon qu’elles sont positives, neutres ou conflictuelles. On a montré que des rapports problématiques sont associés aux troubles de l’humeur et à la morbidité psychiatrique (suicide, mais aussi violence, menace, altercation, harcèlement sexuel).
- Travail posté et décalage horaire : les troubles du sommeil sont reconnus comme ayant un impact important sur la survenue de dépression, de trouble bipolaire et de suicide.

Que faire ?
Dans le cas du suicide en particulier, une étude prospective menée sur le suicide au travail au Japon (karo jistasu) montre que l’absence de soutien social des individus fragiles multiplie par quatre le risque de passage à l’acte, les autres facteurs déterminants étant une pression psychologique importante, une faible latitude de décision et un temps de travail élevé. Il est à noter que la moitié des victimes ont contacté un service médical pour des troubles non spécifiés, mais qu’aucun n’a bénéficié d’une consultation psychologique ni d’un traitement pour le stress, l’anxiété ou la dépression.
Comment rendre le milieu professionnel moins anxiogène et en dernier ressort moins morbide ? Chacune des six catégories évoquées peut faire l’objet d’un plan d’amélioration concertée. En outre, les Pr Woo et Postolache suggèrent plusieurs besoins communs et génériques : faire de l’amélioration des conditions de travail une priorité du management ; mener des évaluations régulières sur la base de critères partagés dans l’entreprise, et entreprendre les actions correctives si nécessaire ; associer un système de soin psychologique (les individus passent parfois plus de temps de veille au travail que chez eux) ; prévoir des programmes d’assistance pour les plus vulnérables ; développer le conseil et l’écoute (téléconseil ou présence d’un psychologue).

Au cœur de ces actions, la nécessité forte de donner du sens à l’action de l’individu au sein de sa communauté de travail et, bien souvent, de repenser la communication interne et managériale à nouveau frais.


Référence : Woo JM, TT Postolache (2008), The impact of work environment on mood disorders and suicide : Evidence and implications, Int J Disabl Hum Dev, 7, 2, 185-200.
(1) Merci au Pr. Postolache de nous avoir transmis son article.
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vendredi 23 octobre 2009

Entretien avec Pierre-Yves Raccah


Chercheur au Cnrs, Pierre-Yves Raccah est directeur de recherche à l’Université de Limoges et à l’Université de Paris 3 (Sorbonne-Nouvelle). Il est également membre du CeReS (Centre de recherches sémiotiques de Limoges), où il anime les recherches en sémantique. Dans cet entretien, il montre comment une approche réellement scientifique du langage permet de faire émerger les points de vue implicites des acteurs (représentations idéologiques sous-jacentes), mais aussi d’identifier les connaissances et savoir-faire pour mieux les conserver et les transmettre de manière optimale. Des enjeux centraux pour analyser et optimiser la communication d’entreprise, qu’il s’agisse de son identité corporate, de ses orientations stratégiques, de son marketing qualitatif ou du management de ses connaissances.

Vous êtes le concepteur d’une méthode d’analyse sémantique fondée sur les principes théoriques d’une « Sémantique des Points de Vue ». Votre expertise vous porte à considérer que le recours à la sémantique, notamment dans le domaine des études qualitatives, est le plus souvent usurpé. Vous considérez en effet que bon nombre d’acteurs de ce secteur font prendre à leurs clients des vessies pour des lanternes. Pouvez-vous expliquer votre position à ce sujet ?
Ma position n’est probablement pas aussi extrême que cela, mais la manière dont votre question est formulée a le grand mérite de m’obliger à bien expliciter cette position.
Les différents acteurs qui proposent des outils sémantiques utilisent ces outils pour analyser des productions langagières (discours, textes, dialogues, …), dans le but d’en tirer des enseignements sur un certain nombre des paramètres qui caractérisent les conditions de ces productions : identifications idéologiques, préférences de tout ordre, cartes cognitives, et bien d’autres encore. Ces enseignements peuvent ensuite servir à profiler les catégories des producteurs, mais aussi à formuler des suggestions sur des mots à utiliser ou à éviter pour une communication efficace.
Les productions langagières étant la mise en acte, en situation, d’unités de langue, l’analyse rigoureuse de ces productions doit s’appuyer sur un modèle scientifique, fondé sur une théorie explicite, du rôle des unités de langue dans la construction du sens des discours qu’elles permettent. Un tel modèle, qui relève bien de la sémantique, doit, comme tout modèle scientifique, d’une part s’appuyer sur des observations, d’autre part permettre des prédictions explicites, et enfin, permettre de tester ces prédictions en les confrontant à de nouvelles observations.

On trouve cependant beaucoup d’outils d’analyse lexicale et sémantique, fondés notamment sur l’étude statistique des corpus… sont-ils inefficaces ?
Si l’utilisation des outils de la statistique est licite et même souhaitable pour tester des hypothèses en les confrontant à des observations, son utilisation pour remplacer une hypothèse théorique n’a d’intérêt que lorsqu’on n’a pas d’hypothèse théorique à disposition. En effet, à défaut d’un modèle scientifique, comme c’est souvent le cas dans beaucoup de disciplines, on se contente parfois d’une approximation statistique (plus ou moins approfondie), sur la base de laquelle un calcul de probabilité (plus ou moins formel) est parfois possible.
L’utilisation des outils statistiques à la place d’un modèle sémantique peut donc être perçue comme une usurpation. Plus généralement, l’utilisation d’outils d’analyse des productions langagières qui ne seraient pas fondés sur un modèle descriptif et prédictif du rôle des unités de langue dans la construction du sens de leurs énoncés, alors même que de tels modèles existent, peut être considérée comme de l’amateurisme.

Cette clarification apportée, quelles applications concrètes dans le monde économique voyez-vous à la Sémantique des Points de Vue ?
D’une manière générale, toutes les applications que permet une analyse rigoureuse des productions langagières, fondée sur un modèle scientifique.
Plus précisément, je vois trois grands types d’applications, qui peuvent se décliner en plusieurs sous-types par combinaison de certains de leurs aspects.
1. L’aide au recueil et à la gestion des savoir-faire en entreprise, par la mise en évidence et la structuration des points de vue des experts sur leur domaine d’expertise
2. L’aide au marketing qualitatif, par la mise en évidence des identifications idéologiques des différentes catégories de cibles (et, plus généralement, l’aide à la communication interne et externe)
3. La catalyse de formation, qui consiste à faciliter la comparaison entre, d’une part, la représentation de ce qu’un formateur comprend de ce qu’il dit et, d’autre part, la représentation de ce que des stagiaires comprennent de ce que le formateur dit.

À l’heure d’une crise qui fait chanceler bon nombre de repères économiques et idéologiques, pensez-vous qu’une attention particulière au langage présente pour les organisations, privées ou publiques, un moyen efficace d’agir sur les représentations de leurs parties prenantes ?
Indépendamment de toute crise, une attention particulière au langage présente un moyen efficace d’agir sur les représentations des interlocuteurs. L’ébranlement des repères idéologiques rend cette action plus difficile : la fonction des mots devient instable dans de telles conditions. C’est pourquoi il est d’autant plus utile – prudent, pourrait-on dire – de procéder à une sorte d’état des lieux sémantique avant de prendre la parole pour une communication que l’on juge importante.
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mardi 20 octobre 2009

LaboCom >2< Communication client : une excuse ne coûte rien

Quand un client a des griefs légitimes contre vous, quelle est la meilleure stratégie ? L’envoi d’un bon d’achat ou un simple mot d’excuses ? La réponse de Johannes Abeler et de ses collègues, qui ont travaillé avec une entreprise réalisant environ 10 000 ventes par mois sur e-Bay, peut surprendre : un mot d’excuses !

Dans le cadre de la gestion de réclamations clients motivées par des retards de livraison, l’entreprise test a évalué deux messages : 1. « Nous sommes désolés pour ce retard et vous prions d’accepter nos excuses » ; 2. « Pour vous prouver notre bonne volonté, nous vous adressons un bon d’achat d’une valeur de 5 euros ». Les clients réclamants étaient invités à réagir à la réponse reçue en retirant, ou en maintenant, le commentaire négatif laissé sur le site marchand de l’entreprise. Il a été ainsi possible de comparer l’effet des deux messages : 45 % des clients ont retiré leur évaluation négative après avoir reçu des excuses ; seuls  23 % l’ont fait après avoir reçu le bon d’achat.

Non seulement une excuse ne coûte rien, mais elle bénéficie à la réputation de celui qui consent à l’émettre. Pour créer une relation durable, un langage maîtrisé et adapté aux réelles attentes du client constitue un véritable outil de relation client.

Référence : Abeler J, Calaki J, Andree K, Basek C (2009), The power of apology, Centre for decision research & experimental economics, Discussion paper n°2009-12.

Nota : cette information a été distribuée sur la liste de diffusion hebdomadaire de la société Inférences, LaboCom. Si vous souhaitez vous aussi recevoir nos analyses chaque mardi, en avant-première dans votre messagerie, contactez-nous pour être inscrit sur notre liste de diffusion.
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dimanche 18 octobre 2009

Sur Oliver Williamson, Prix Nobel d'économie


Le prix Nobel d'économie a été attribué aux Américains Elinor Ostrom et Oliver Williamson. Elinor Ostrom, de l'Université d'Indiana, est récompensée par le comité « pour avoir démontré comment les biens communs peuvent être efficacement gérés par des associations d'usagers ». Ses travaux remettent en cause « l'idée classique selon laquelle la propriété commune est mal gérée et doit être prise en main par les autorités publiques ou le marché ». C’est la première fois qu’une femme accède au Nobel d’économie depuis sa première attribution en 1969. Oliver Williamson, enseignant à l'université de Californie de Berkeley, a été récompensé pour « son analyse de la gouvernance économique, notamment les frontières de l'entreprise ». Nous insisterons ici sur les travaux de ce dernier.

Williamson s’inscrit dans une double tradition intellectuelle : l’analyse institutionnelle (Thorstein Veblen, John R. Commons, Ronald Coase) et la théorie des organisations (Robert Michels, Chester Barnard, Herbert Simon). Le premier point essentiel de ses travaux consiste à poser que l’organisation joue un rôle dans l’économie et que ce rôle peut être scientifiquement étudié. Cette idée se retrouve dans les textes déjà anciens d’Alfred Marshall, Joseph Schumpeter et même Friedrich Hayek, mais elle n’a pas formé le paradigme dominant de la science économique. Celle-ci s’est développée principalement comme une « science du choix » : une théorie du consommateur visant à maximiser son utilité et de l’entreprise visant à maximiser son profit. Le marché est le lieu où se réalisent les choix par confrontation des moyens (rares) et des fins (illimitées) des acteurs économiques, individus ou firmes, avec le système des prix comme facteur d’équilibre. Une approche simple, simpliste diront certains.

À cela, Williamson répond que l’économie est tout aussi bien une « science des contrats » et que l’analyse des transactions réelles montre l’existence de ce qu’il nomme les « hiérarchies » (concrètement, les entreprises et leur gouvernance) par opposition au marché. Toute entreprise est le lieu de rapports bilatéraux nombreux, de nature différente, la liant à ce que l’on appelle aujourd’hui ses « parties prenantes » (salariés, fournisseurs, actionnaires, clients, société civile, États). De tels rapports sont souvent codifiés par des contrats qui ne se résument pas à la logique des marchés. L’exemple le plus simple et le plus universel est le contrat de travail : si la prestation s’échange contre une rémunération, les détails de cette prestation ne sont qu’imparfaitement connus. De là notamment résulte le phénomène de la hiérarchie dans la firme, car les ajustements nécessaires se réalisent plus rapidement et plus efficacement dans un tel cadre institutionnel.

La gouvernance de l’entreprise est donc au cœur des interrogations de cette école des institutions et des organisations économiques. Par rapport au modèle néoclassique dominant, bousculé par la crise de 2008, cette approche peut mettre aujourd’hui en lumière ses avantages. Williamson observe ainsi que les acteurs humains, notamment leur « rationalité limitée » au moment de l’échange et du contrat, sont pris en compte de manière plus réaliste. De même, les détails habituellement gommés par le prisme néoclassique (diversité des organisations, complexité des contrats, régularités et irrégularités comportementales des acteurs) sont ici pleinement pris en compte dans la mesure où chaque transaction relève d’un contexte singulier. La coopération adaptative, principe de base selon lequel les acteurs du jeu économique visent à mutualiser des gains, est également mieux prise en compte si l’on intègre, à côté des mécanismes d’intéressement propre aux marchés, les nombreux ajustements que permettent les hiérarchies, y compris dans des situations de conflit qui ne sont pas prises en compte par le droit du commerce ou du travail.

À lire :
Williamson OE (2002), The Theory of the Firm as Governance Structure: From Choice to Contract, Journal of Economic Perspectives, 16, 3, 171–195 [texte intégral, anglais, PDF. Une excellente synthèse du Nobel sur ses vues]
Williamson OE (1985), The Economic Institutions of Capitalism, Free Press (trad. Fr. : Les institutions de l’économie, Inter-éditions, 1994).
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jeudi 15 octobre 2009

Sur les discours de la peur

Dans son édition du jeudi 15 octobre 2009, l’hebdomadaire Le Nouvel Économiste a publié sous la plume de Caroline Castets un dossier consacré au développement de peurs qui, politiquement et médiatiquement entretenues, favorisent l’accentuation de leurs causes plus qu’elles ne les éloignent. Inférences intervient dans ce dossier pour rappeler que si les mécanismes d’”alertes adaptatives” jouent un rôle indispensable de conjuration des menaces, ils peuvent également cultiver un paradoxe fâcheux : favoriser l’émergence d’une peur paralysante tout en encourageant des adaptations devenues précisément impossibles ! La peur de la peur, en quelque sorte.

Et comme toujours, l’observation attentive du langage dévoile les stratégies discursives des uns et des autres qui, en ayant délibérément recours à des lexiques anxiogènes ou “euphorisants”, déploient des champs sémantiques qui alimentent la doxa. De véritables machines à fabriquer de l’opinion…

À méditer, y compris dans l’entreprise.
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lundi 12 octobre 2009

LaboCom >1< Développement durable… mais bénéfice immédiat

Nous passons notre temps à arbitrer entre des buts immédiats et des buts lointains : ne pas trop manger pour garder la ligne ou se faire plaisir à table, ne pas dépenser notre argent pour en avoir en cas de difficultés ou acheter maintenant cet objet dont on rêve, etc. Une part de nos comportements balance ainsi entre un mode réflexif et projectif d'une part, un mode expressif et impulsif d'autre part. Cette tendance a été mesurée en psychologie expérimentale sous le concept de «dépréciation de la récompense différée» : comment réagit-on devant un gain plus ou moins important selon un délai plus ou moins long?

David J. Hardisty et ses collègues ont voulu savoir si la dépréciation des récompenses trop lointaines, bien établie dans le domaine financier, se retrouve aussi dans les choix environnementaux. Trois groupes ont été constitués (65, 118, 146 personnes), qui devaient choisir entre des options immédiates ou retardées. Par exemple, l'approbation d'une mesure permettant de lutter 21 jours contre la pollution dans l'année présente ou 35 jours l'année suivante. Résultat : comme pour leurs choix financiers, la majorité des gens recherchent des bénéfices immédiats.

Par sa nature même insistant sur la durabilité ou soutenabilité, le discours sur le développement durable et la RSE est souvent irrigué de perspectives lointaines ou abstraites (équilibre climatique, préservation de la biodiversité…). Mais nos cerveaux restent plus sensibles aux avantages concrets et rapides. À méditer quand on agit et communique sur le sujet.

Référence : Hardisty DJ, Elke U, Weber EU, Discounting Future Green : Money Versus the Environment, Journal of Experimental Psychology : General, 138, 3, doi : 10.1037/a0016433

Nota : cette information a été distribuée sur la liste de diffusion hebdomadaire de la société Inférences, LaboCom. Si vous souhaitez vous aussi recevoir nos analyses chaque mardi, en avant-première dans votre messagerie, contactez-nous pour être inscrit sur notre liste de diffusion.
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mardi 6 octobre 2009

Développement durable et valeur de marque


Havas Media a publié les résultats d’une enquête réalisée en janvier 2009 auprès de plus de 20 000 consommateurs répartis sur 10 marchés (France, Allemagne, Royaume-Uni, Suède, Espagne, États-Unis, Inde, Chine, Mexique, Brésil), et consacrée au développement durable. Deux enseignements dominent les résultats :

- les consommateurs intègrent toujours davantage le développement durable, même en période de crise : 48 % des consommateurs (49 % en France) se disent prêts à payer 10 % de plus pour des produits ou services responsables sur le plan environnemental et/ou social ;

- la valeur des marques est aujourd’hui de plus en plus déterminée par le développement durable. Il constitue environ 40 % de ce capital, pouvant, aller au-delà pour certaines entreprises très engagées.

Les auteurs de l’étude ont créé un indice (Quotient développement durable) permettant de mesurer les secteurs où les engagements sociaux et environnementaux contribuent le plus à la valeur de marque. Il en ressort que l’alimentation et les produits de grande consommation sont les deux segments en pointe. En revanche, l’automobile ne reçoit pas les bénéfices de son volume croissant de communication sur les « voitures propres » puisque le secteur est perçu comme produisant un impact négatif.

Valérie Planchez (Havas Media France) observe : «Les marques sont conscientes depuis longtemps de la part immatérielle et symbolique qui les constitue, et du rôle des valeurs dans leur relation aux consommateurs. Mais aujourd’hui, sous le coup de la crise, ces valeurs évoluent à nouveau vers une dimension plus collective.»

Il reste à savoir si cette orientation de l’opinion se confirmera, selon les différents scénarios d’évolution économique, et si les entreprises parviendront à un équilibre entre leurs engagements pour le développement durable et les impératifs de leur croissance propre. Ainsi, aux États-Unis, la Society for Information Management vient de publier les résultats de son enquête sur les priorités de 250 dirigeants d’entreprise, d’où il ressort que le premier objectif est le gain de productivité par réduction des coûts. Aucune des dix priorités ne fait mention de l’environnement ou de l’équité…

Autre point, dont nous avions parlé ici, le développement durable n’est pas une valeur en soi, comme il l’était à l’époque de quelques pionniers engagés, mais un prérequis de plus en plus encadré par des contraintes normatives et réglementaires. De sorte que rien ne garantit la continuité de son pouvoir de différenciation au sein de la valeur de marque.
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jeudi 1 octobre 2009

La tragédie des suicides et l’évolution du management

Dans Les Échos, intéressante analyse de Gilles Verrier (directeur d’Identité RH et professeur associé à Sciences Po Paris) sur la « vague » actuelle des suicides en entreprise. « Après Renault, PSA et EDF, France Télécom est à la une de l'actualité avec ses 23 suicides. Le sujet fait recette, avec son cocktail de pathos, de sensationnel et de réponses simplistes, tout comme le thème des séquestrations il y a quelques mois. Au-delà des spécificités de France Télécom, la multiplication d'actes désespérés dans différentes entreprises révèle un malaise profond qui va bien au-delà des personnes qui passent à l'acte et touche aujourd'hui une part importante de la population salariée. Pour de nombreuses personnes, le travail est devenu source de stress, voire de souffrance. »

Observant que certaines entreprises préfèrent le déni pur et simple de cette réalité, quand d’autres en confient la délicate gestion à un service psychologique individualisé au sein de la médecine du travail, Gilles Verrier continue : « Ce qui est en cause, ce sont les modes de fonctionnement des entreprises concernées, leurs pratiques d'animation des hommes et de management. Leur objectif est clair : générer de la performance. Mais la voie adoptée par certaines est celle de la pression au quotidien sur les personnes, des objectifs matraqués, de la déshumanisation et de la déresponsabilisation. (…) Ce qui donnait des résultats lorsque le travail était prescrit et répétitif (« serrer des boulons ») ne fonctionne plus avec le travail du savoir (« produire du jus de cervelle ».) Ce qui était efficace dans la société d'hier ne l'est plus, appliqué à des personnes qui dans la vie hors travail ont une autonomie et des champs de décision sans comparaison avec ceux qu'ils avaient il y a trente ans. (….) Générer de la performance fait partie du non-négociable pour l'entreprise. Mais ce résultat est une résultante : il peut naître de l'investissement au quotidien des salariés dans leur activité, sous réserve que cet engagement soit choisi et que le résultat soit généré par la motivation. »

3 pistes pour manager « autrement »
Gilles Verrier propose trois pistes pour que les objectifs de performance ne soient plus perçus comme des contraintes subies : donner du sens à la recherche de performance en l'inscrivant dans un projet partagé ; traiter ses salariés comme des adultes, en développant leurs marges de manœuvre et d'autonomie ; réinvestir dans le management de proximité, en inversant la tendance de ces dernières années.

Ces observations rejoignent les réflexions que le cabinet Inférences a formulées sur ce blog ou dans ses études, notamment sur le rôle croissant des valeurs et du sens dans l’entreprise. Dans ses travaux sur la « modernité réflexive », le sociologue Anthony Giddens observe que nos sociétés modernes se sont construites jusque dans les années 1960 sur un compromis socio-historique et psychologique : recherche de rationalité et domination de la nature ; individualisation (sortie des communautés et traditions) ; confiance dans ses identités sociales et les institutions. Les Trente Glorieuses ont illustré cet équilibre dominé par le volontarisme des actions humaines, la pacification des rapports sociaux, l’extension lente de la sphère privée.

Vers un nouveau contrat social
Mais au cours des quarante dernières années, ces tendances ont été malmenées. L’extrême rationalisation de toute tâche a eu tendance à concentrer l’attention sur les moyens au détriment des fins, conduisant à une perte de sens. L’individualisation n’a pas été toujours profitable, provoquant désengagement ou désarroi chez les plus fragiles ; les collectifs (dont l’entreprise) et les institutions perdent leur centralité tandis que progresse une distance cynique ou fataliste vis-à-vis des obligations communautaires. Il se peut que la conjonction actuelle de la crise économique, des menaces environnementales et des progrès technologiques, notamment dans la communication interpersonnelle, soit l’occasion de définir un nouveau contrat entre individus et entreprises, au sein d’une « économie réflexive » capable d’intégrer les facteurs non-économiques mais ô combien déterminants qui traversent toutes ses activités.
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Le cabinet Inférences est né !

Depuis le 1er octobre 2009, Ad-Verbe est devenu Inférences, cabinet d’études et de conseil spécialisé dans le langage et la communication stratégique des organisations. Vous pourrez  bien sûr continuer à suivre ici même les  réflexions et analyses que nous livrons à vos critiques et commentaires.
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lundi 21 septembre 2009

Test

Autre test
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Contre les discours simplificateurs

Dans son édition du jeudi 17 septembre 2009, l’hebdomadaire Le Nouvel Economiste a publié sous la plume de Caroline Castets un dossier consacré aux tendances 2009.  L’une d’elles, intitulée Icônes, s’interroge sur les mécanismes de construction du sens. Cet article démontre que si les archétypes sont nécessaires pour structurer nos représentations du réel, ils le simplifient parfois au point d’en donner une image déformée, voire fausse. Inférences intervient dans ce dossier pour rappeler notamment que tous les langages (sociaux, presses, politiques, entreprises…) sont concernés par cette tendance à la simplification du réel à partir de “stimuli sémantiques élémentaires”.

Un dossier qui intéressera tous ceux qui, épris de complexité, désespèrent de voir le réel caricaturé en bons et méchants, en bien et mal, en noir et blanc… Bref, une invitation à l’esprit de transversalité autant qu’une sensibilisation à la complexité.
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mercredi 9 septembre 2009

Développement durable et entreprise verte : le rôle des valeurs

JunJie Wu, professeur d’économie et chercheur de l’Université de l’Oregon, a analysé l’implication environnementale des entreprises, à travers les résultats d’un questionnaire rempli par 689 cadres supérieurs et dirigeants, dans des entreprises d’au moins dix salariés réparties dans six secteurs (alimentaire, construction, transport, hôtellerie, biens manufacturés, service).

Certaines entreprises se conforment, et même dépassent les attentes des régulations environnementales, d’autres non. Mais quels facteurs entrent en ligne de compte pour expliquer cette diversité d’attitudes face au développement durable ?

L’analyse de Wu révèle que les valeurs de l’encadrement supérieur sont l’un des facteurs dominants d’explication. Viennent ensuite l’avantage compétitif en terme de différenciation d’un produit « vert » par rapport à un autre plus polluant, ainsi que la fidélisation-implication des salariés et l’accroissement de productivité pouvant résulter de bonnes pratiques environnementales. En revanche, la pression des consommateurs, investisseurs ou groupes d’intérêt n’a pas d’impact statistiquement significatif. Et la pure analyse coût-bénéfice augmente la probabilité de violer les régulations environnementales.

« Il est surprenant que l’attitude du management envers la gestion environnementale joue un si grand rôle, observe JunJie Wu. Les économistes pensent que le profit dirige les décisions, mais nous avons montré que les valeurs du management affectent tout autant les décisions de l’entreprise ».

Référence : Wu J. (2009), Environmental compliance: The good, the bad, and the super greenstar, Journal of Environmental Management, 90, 11, 3363-3381, doi:10.1016/j.jenvman.2009.05.017


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jeudi 3 septembre 2009

L’économie est-elle irrationnelle ?

Dans la livraison estivale de la Harvard Business Review, consacrée au thème de « la nouvelle économie dans le monde nouveau », Dan Ariely publie une analyse provocatrice, intitulée « La fin de l’économie rationnelle ». Ce chercheur est spécialisé dans l’étude du comportement économique, discipline qu’il enseigne à l’Université Duke, Caroline du Nord. On luit doit un essai passionnant (et traduit en français) sur les nombreux biais cognitifs entachant nos décisions individuelles et collectives (C’est (vraiment ?) moi qui décide, Flammarion, 2008).

L’ouverture du papier est directe : « Votre entreprise a fonctionné sur le présupposé que les gens – consommateurs, employés, managers – prennent des décisions logiques. Il est temps d’abandonner cette hypothèse ». La crise financière donne évidemment l’occasion de vérifier cette proposition, elle qui a obligé Alan Greenspan lui-même, gardien de longue date d’une certaine orthodoxie, à abjurer publiquement sa croyance dans la capacité des acteurs à opérer les choix collectifs optimaux en suivant simplement leur intérêt personnel et rationnel. Mais la crise n’est que le révélateur « local » (banque et finances essentiellement) du phénomène bien plus général de nos comportements économiques.


La théorie économique standard reposait sur deux articles de foi n’ayant guère évolué depuis Adam Smith : les êtres humains font habituellement des choix rationnels ; la main invisible du marché apporte des correctifs aux éventuels déséquilibres. Le problème : cette vision ne résiste pas à l’examen des faits. Les progrès rapides accomplis dans les sciences de la cognition et du comportement montrent que les choix individuels ne sont pas toujours rationnels, tant s’en faut.


Dans leur laboratoire, Dan Ariely et ses collègues procèdent ainsi à de nombreuses expériences pour analyser les décisions et les actions des acteurs économiques. A savoir des gens tout à fait normaux, comme vous et moi, mais qui prennent parfois des décisions étranges, absurdes ou immorales.


Exemple 1 :
Apple lance son i-Phone à 600 $ et, à peine deux mois plus tard, baisse le prix à 400 $. Coup de génie, grâce à « l’effet d’ancrage » : nous avons tendance à prendre une première information (quelle qu’elle soit) comme référence pour les suivantes de même nature. 400 $ est sans doute une dépense élevée pour un téléphone, même du dernier cri, mais notre raison critique se laisse abuser par la « baisse » inespérée de 200 $ par rapport au coût « de référence ».


Exemple 2 :
deux groupes doivent passer des tests et réussir au mieux. L’un est contrôlé, l’autre non (les individus doivent simplement communiquer le nombre de problèmes résolus). Les membres du groupe non contrôlé auront toujours tendance à tricher, c’est-à-dire à surestimer leurs résultats. Mais si les membres d’un troisième groupe se voient demander avant l’épreuve de réfléchir à leurs croyances concernant le bien et le mal, ils tricheront moins : les valeurs fondamentales guident donc l’action… si elles sont présentes à l’esprit ! Un résultat qui confirme le rôle que peuvent jouer les valeurs dans une organisation comme l’entreprise. La même expérience où des équipes au lieu d’individus devaient s’affronter à des tests a montré que le groupe tend à favoriser la tricherie en renforçant l’esprit de revanche et de compétition au détriment du respect des règles. Un résultat qui appelle évidemment une réflexion sur les chartes d’éthique et de déontologie mises en place par les grands groupes, ainsi que sur « l’autonomie » des équipes.


Exemple 3 :
deux groupes homogènes se voient offrir une offre d’abonnement à un célèbre hebdomadaire international d’économie. Première offre : internet seulement 49 € ; papier seulement 129 € ; internet + papier 129 €. Deuxième offre : internet seulement 49 € ; internet + papier 129 €. Dans le premier cas, une majorité choisit la formule internet et papier ; dans le second cas, internet seulement. Le biais a été créé dans la première offre par l’équivalence monétaire de l’offre papier et de l’offre papier+internet : au même prix, on a deux fois plus, c’est donc une bonne affaire (même si le prix est élevé et qu’initialement, on ne pensait pas trop à la version imprimée).


Exemple 4 :
pour économiser 5 € sur l’achat d’un stylo à 25 €, nous sommes prêts à consacrer un quart d’heure pour nous rendre à un point de vente moins cher, alors que pour économiser 5 € sur l’achat d’un costume à 299 €, très peu feront le déplacement prenant un même quart d’heure. La dépense de temps et l’économie d’argent sont exactement les mêmes… mais pas pour notre cerveau !


La publicité et le marketing ont capté de longue date la dimension non-rationnelle de nos comportements : les marques vendent avant tout une image où la valeur d’usage et la valeur d’échange des produits cèdent la place à la valeur-signe ouverte à l’imaginaire. Et cela marche. On a par exemple montré que des volontaires préfèrent un verre de Pepsi à un verre de Coca en test aveugle, mais que les préférences s’inversent lorsque les marques sont visibles : ce n’est pas le goût qui l’emporte, mais une autopersuasion liée à une attente.


Est-ce à dire que nous sommes manipulés par notre inconscient, soumis à des biais cognitifs dans tous nos choix et incapables finalement de prendre des décisions rationnelles ? Non, et heureusement ! « De nombreuses découvertes montrent que nous sommes émotifs, myopes, aisément trompés ou distraits. Néanmoins, les entreprises qui investissent dans l’expérimentation comportementale peuvent améliorer leur prise de décision et diminuer les risques ». Car lorsqu’elle est révélée à elle-même, l’irrationalité est plus aisément combattue : l’apprentissage cognitif permet ainsi de repérer les biais les plus fréquents pour les éviter.


Et donc, si l’on vous donne le choix entre un bon de réduction gratuit de 10 € sur le site Amazon et un bon de réduction de 20 € sur le site Fnac, mais vous coûtant cette fois 8 €, vous choisissez bien sûr…


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jeudi 6 août 2009

Management et RH : Des faits, pas des promesses

Une étude de Samantha D. Montes et David Zweig (Département de management de l’Université de Toronto) vient de s’intéresser au « contrat psychologique » liant un employé à son organisation, et plus particulièrement aux « promesses » supposées être incitatives pour les collaborateurs, qu’elles soient relatives à la rémunération, au plan de carrière ou au cadre de travail. Cette recherche a été menée sur trois groupes (558 étudiants et 441 employés face à des scénarii hypothétiques, 383 employés suivis en étude longitudinale et en milieu entrepreneurial). Il ressort de ces trois groupes étudiés une conclusion convergente : les promesses ont peu d’effets sur la psychologie des collaborateurs. Ceux-ci perçoivent le plus souvent une « rupture de contrat » sans promesse préalable, simplement lorsqu’ils estiment que l’entreprise ne s’engage pas suffisamment et concrètement pour leur condition de travail et de revenu. En termes d’intégration et de fidélisation, le parler-vrai est indissociable de l’agir-juste.

Référence : Montes S.D., D. Zweig, Do promises matter? An exploration of the role of promises in psychological contract breach, J. Appl. Psychology, à paraître (le texte – anglais, pdf – est téléchargeable ici)
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vendredi 19 juin 2009

Le développement durable n’est pas une valeur !

par Jean Laloux

Beaucoup d’entreprises sans valeurs explicites donnent parfois au développement durable (DD) le rôle d’une valeur joker. A la fois principe d’action, démarche éthique, certificat de citoyenneté, passeport pour de nouveaux horizons de la communication… le développement durable – ou la démarche RSE – est alors brandi comme l’étendard d’une cause qui engloberait à elle seule l’identité, la vision, les valeurs et la stratégie de l’entreprise. Mais disons-le tout net : le développement durable n’est pas une valeur !

Entre le durable et l’acceptable, le conflit sémantique couve…
La prise en compte grandissante des enjeux sociétaux et environnementaux par les entreprises — notamment pour des raisons réglementaires — fait désormais du DD davantage un prérequis que l’expression d’une volonté engendrée par une identité et des valeurs supposées DD-compatibles. Respecter l’environnement à chaque étape du cycle de vie d’un produit ou d’un service, favoriser l’essor de la vie professionnelle des salariés, privilégier des stratégies économiques sur le long terme plutôt que sur le court terme… Fort bien, mais quid de l’identité de l’entreprise ? Quid de ses valeurs ?
Les valeurs d’une entreprise ne sont ni des déclarations de bonnes intentions, ni des obligations réglementaires travesties en savoir-être. La maturité de l’économie de marché comme celle de toutes les parties prenantes de l’entreprise n’autorise plus le recours à des catégories trop générales, génériques et généreuses. Elle exige au contraire des réalités incarnées. D’un côté, la tentation toujours présente de donner de l’entreprise un visage lisse et sans défaut, sorte d’archétype de l’efficacité et du succès ; de l’autre, la tentation naissante de proposer une représentation de l’entreprise plus conforme à la réalité, capable de prendre en compte conflits et contradictions, écarts entre discours et actions, recherche de consensus et constat de dissensus. Le conflit sémantique entre une durabilité aux accents souvent iréniques et une acceptabilité conflictuelle par nature, est à venir…

Culture d’ingés vs culture com’, langage d’expert vs langage commun
Le développement durable n’est donc pas une valeur, mais un extraordinaire réservoir d’orientations stratégiques, un critère d’évaluation, aussi nécessaire désormais à l’entreprise que celui de la rentabilité, mais aux indicateurs d’une grande complexité.
C’est pourquoi il ne faut pas se tromper de vecteur. Le DD dans l’entreprise commence par la réconciliation de l’ingénieur et du communicant. Laisser au premier la main sur une démarche DD, et c’est la garantie de préempter un registre peu accessible et dont il sera difficile pour le communicant d’extraire une vision synthétique et compréhensible par tous ; laisser au second la charge de porter seul le discours DD dans l’entreprise, c’est au contraire prendre le risque de lisser la complexité en gommant les difficultés méthodologiques et de mise en œuvre. Une communication durable sur le DD, c’est donc une synergie réussie entre des experts DD reliés à la direction générale, une direction DD et une direction de la communication ; sans oublier la nécessité d’un langage commun dans lequel l’ingénieur peut se reconnaître et le communicant se faire comprendre. Bon courage à tous !
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vendredi 12 juin 2009

Gare aux présentations .ppt trop animées…

Depuis deux décennies, les présentations PowerPoint ont progressivement envahi les salles de réunion. Remplaçant peu à peu les anciens transparents rétroprojetés, ces « diapositives » (slides) sont aisées à produire, au point que les plus imaginatifs ou les plus habiles n’hésitent pas à les animer : au lieu d’un message fixe pour chaque slide, on voit la page s’enrichir par étapes de lignes ou de schémas, à mesure que le conférencier avance dans son propos.

L’effet esthétique est garanti… mais en va-t-il de même pour l’effet cognitif ? Il semble que non selon une étude réalisée par Stephen Mahar et ses collègues (Université de Caroline du Nord).

93 étudiants en management, dont le degré de compréhension avait été testé quelques semaines plus tôt de manière indépendante, ont été répartis en deux groupes de niveau comparable pour suivre un cours, l’un étant en présentation « animée » (série de diapos évolutives), l’autre en présentation fixe (série de diapos statiques). A l’issue du cours, des tests ont été réalisés. Résultat : les présentations les plus sages sont aussi les mieux retenues, cette observation corroborant des expériences antérieures (Tversky 2002). Si l’on veut optimiser la compréhension et la mémorisation de son propos, mieux vaut donc éviter les présentations qui ressemblent à des films d’animation !

Référence : Mahar S. et al. (2009), The dark side of custom animation, Int. J. Innovation and Learning, 6, 581-592.
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lundi 8 juin 2009

Quand les MBA redécouvrent le facteur humain

par Charles Muller

Dans la Tribune.fr du 4 juin 2009, Julie Battilana, professeur assistant à la Harvard Business School, évoque la nécessité de repenser les contenus des cours enseignés dans les MBA. Ces Masters of Business Administration, dont les programmes sont encadrés par l’Association to Advance Collegiate Schools of Business, sont suivis chaque année par 216 000 étudiants dans le monde, et forment une référence dans le monde des affaires. Ils n’ont pas échappé à la crise, puisque parmi les titulaires de MBA on compte Rick Wagoner, qui a conduit General Motors à la faillite, John Thain, ex-n°1 de la banque Merrill Lynch, ou encore Richard Fuld, qui présida aux destinées de Lehman Brothers…

La grégarité des enseignements des MBA mise en cause
Julie Batillana dresse notamment le constat suivant à propos des enseignements des MBA : « La crise nous impose donc de repenser leur contenu. Si l'utilité des modèles financiers qui y sont enseignés n'est pas en cause, il convient d'en assurer une utilisation informée de leurs limites, notamment des hypothèses sur lesquelles ils s'appuient concernant les comportements et les préférences des acteurs. (…) Des enseignements transdisciplinaires, mobilisant autant des professeurs de finance que des professeurs spécialistes de l'étude des comportements humains au sein des organisations, permettraient sans doute de mieux mettre en évidence l'efficacité et les limites aussi bien des modèles financiers que des modèles de leadership que nous enseignons. »

Vers une vision plus complexe (et une organisation plus efficace) de la rationalité des acteurs économiques
Ce constat rejoint une critique intellectuelle de fond, menée depuis plusieurs années, sur le modèle « canonique » du comportement des acteurs économiques. De nombreux chercheurs, dont les prix Nobel Daniel Kahneman et Vernon L. Smith, ont montré que l’économie aussi bien que la finance ne sont pas nécessairement les terrains d’une « rationalité pure » et que de nombreux biais cognitifs y affectent les décisions, malgré l’impressionnante et formelle mathématisation des modèles. Toutes proportions gardées, ces observations rejoignent aussi les conclusions de l’étude que nous venons de publier sur le rôle des valeurs au sein des entreprises, et in fine la prise en compte du facteur humain dans les organisations managériales et les décisions stratégiques. Croire qu’un collaborateur de l’entreprise – quel que soit son niveau dans la hiérarchie – adopte comme par enchantement une cognition et un comportement strictement alignés sur de purs enjeux de rationalité économique est une illusion fondamentale sur la nature humaine. Et une illusion dangereuse pour la pérennité et l’efficacité des organisations.

Sur le même thème, voir aussi Caroline Talbot, MBA : les universités américaines revoient leur copie, in LesEchos.fr du 8 juin 2009
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