mardi 29 juin 2010

LaboCom >36< La confiance est-elle soluble dans le numérique ?

Les technologies de l’information et de la communication (TIC) changent en profondeur notre vie professionnelle comme notre existence personnelle. Mais le plus est-il toujours synonyme du mieux ? Faut-il tout basculer dans les interfaces numériques de travail ? Pas si sûr répondent deux chercheurs de l’Université de l’Illinois, Gregory Northcraft et Kevin Rockmann.

Northcraft et Rockmann ont placé 200 étudiants de dernière année d’école de commerce en situation de travail en équipe. Un groupe s’organisait en réunions et face-à-face, un autre par visioconférences et e-mails. L’expérience a montré que la coopération et la confiance étaient les plus fortes dans le groupe travaillant en relation directe, plus faibles quand le courrier électronique domine, quelque part entre les deux avec la visioconférence.

« Les technologies nous ont rendus bien plus performants, mais bien moins confiants, note Gregory Northcraft. Une chose a été gagnée quand une autre a été perdue. Ce que nous avons gagné, c’est le temps ; ce que nous avons perdu, c’ est la qualité de la relation. Or, pour la performance collective, cette qualité compte ».

Les entreprises doivent donc développer une vraie stratégie d’intégration des TIC dans leur environnement de travail, les implémentant là où elles sont nécessaires, limitant leur usage là où des contacts directs entre collaborateurs sont plus utiles. « Le contact physique a une sorte de demi-vie, remarque Nortcraft. Quand les gens se sont rencontrés en face-à-face, ils peuvent en tirer profit pendant un certain temps ; ils peuvent en effet conserver une communication directe minimale sans que la qualité de la relation se dégrade. Mais au bout d’un moment, le face-à-face redevient nécessaire pour, en quelque sorte, recharger la confiance, l’engagement et la loyauté de la relation ».

La moindre efficacité de l’e-mail dans la mobilisation des équipes tient sans doute à cette absence de contact physique nécessaire à la psychologie humaine, mais aussi au fait que notre communication est en partie non-verbale et implicite : c’est le contexte qui donne sens au “texte” ; cette propriété est perdue dans un message électronique qui, pour maximiser l’efficacité de sa transmission, doit être explicite et complet.

Nul ne conteste que les TIC apportent d’innombrables avantages aux organisations, et qu’elles seront de plus en plus nécessaires à la création de valeur. Mais quand il s’agit d’optimiser la compréhension des messages et la motivation des esprits, particulièrement dans les grands groupes, une politique sur-mesure de l’information et de la communication est nécessaire.

Référence : Northcraft G. (2010), Relying too much on e-mail bad for business, University of Illinois website. Etude à paraître dans Organizational Behavior and Human Decision Processes.
Share |

mardi 22 juin 2010

LaboCom >35< Consommation : sous l’emprise de nos préférences implicites

Chaque jour, nous sommes confrontés dans notre environnement publicitaire et informationnel à plusieurs dizaines de stimuli où figurent des marques associées à des images, des sons ou des textes. Et cela aussi bien dans nos navigations numériques que dans notre milieu de vie « physique ». Il nous est impossible de nous remémorer chacune de ces rencontres, ou même le nom des marques concernées, mais ces stimulations nous laissent souvent une impression – positive ou négative. Dans la littérature anglo-saxonne, on appelle cet effet « I like it but I don’t konw why » – j’aime bien mais je ne sais pas pourquoi. La préférence ne serait donc pas l’objet d’une réflexion consciente, rationnelle.

Deux chercheurs canadiens, Melanie Dempsey (Université Ryerson) et Andrew A. Mitchell (Université de Toronto), ont testé la réalité de ces préférences cachées (ou implicites). Les volontaires de cette étude ont d’abord subi une période de conditionnement. Des dizaines de marques (imaginaires) étaient présentées sur des écrans, associées avec des images et des mots. Parmi elles, deux marques-cibles faisaient l’objet d’une association conditionnée : l’une était présentée avec 20 stimuli toujours négatifs, l’autre avec 20 stimuli toujours positifs. Cette phase était conçue de telle sorte que les consommateurs ne pouvaient pas se rendre compte que leur esprit avait été spécifiquement conduit à valoriser ou dévaloriser ces deux marques.

Dans la seconde phase de l’expérience, les sujets ont été confrontés à des informations explicites qui contredisaient le conditionnement implicite. La marque ayant un affect négatif se voyait décrite en termes très positifs, et inversement pour l’autre. Or, les consommateurs ont systématiquement minimisé les informations négatives lorsqu’ils avaient dans un coin de leur inconscient des images positives d’une marque. Conclusion des chercheurs : « Les décisions et choix des consommateurs ne sont pas seulement déterminés par l’information rationnelle (attributs du produit) mais sont aussi dirigés par des forces qui se situent en dehors du contrôle rationnel ».

Ce travail, qui confirme de nombreuses autres études en ce sens, rappelle la puissance de l’implicite et l’importance du contexte dans le fonctionnement de notre esprit. Il ne concerne pas seulement le marketing, mais aussi bien toutes les situations de la vie économique et professionnelle où nos décisions sont influencées par des informations antérieures. Il rappelle que la communication n’a de sens que si elle est à la fois intégrée (harmonisation de tous les messages) et spécifiée (adaptation de chaque message à chaque cible).
 
Référence : Dempsey M, AA Mitchell (2010), The influence of implicit attitudes on choice when consumers are confronted with conflicting attribute information, Journal of Consumer Research, epub, 0093-5301/2010/3704-0002.
Share |

mercredi 16 juin 2010

LaboCom >34< Qui a peur des mots ? Sortir de le crise économique… et de la crise du langage

Il n’est question ni de rigueur ni d’austérité, mais de plan de relance. Le licenciement a fait place à la restructuration, la fermeture d’usine à la délocalisation, la récession à la maîtrise de l’inflation… Dans l’éditorial du dernier numéro de CB News, Christian Blachas analyse ce qu’il nomme la « nouvelle sémantique » : « Le XXIe siècle a inventé un nouveau langage issu de deux courants profonds : le politiquement correct (personnes à mobilité réduite, non-voyants, mal-entendants…) et le discours hypocrite qu’on pourrait aussi intituler mensonge ou gros pipeau. Pour masquer la dure réalité des faits, on invente des mots et des expressions destinés à faire passer la pilule. »

Une novlangue aux effets contre-productifs
Pour l’éditorialiste, cette novlangue édulcorée a pour but d’éviter toute émotion forte chez le récepteur du message, en commençant par la méfiance ou l’inquiétude si promptes à s’éveiller en période de trouble : « Une obsession : ne pas faire peur. Surtout, ne pas faire paniquer encore plus les marchés. Le problème, c’est que ça ne marche pas. Les investisseurs ou autres spéculateurs exigent des mesures drastiques d’économie et de réduction de la dette publique.(…) Alors, c’est bien de vouloir rassurer à tout prix, de calmer le jeu, d’enrober l’amertume des décisions par des mots sucrés ou inodores. Mais en dehors de la ménagère de Montauban ou d’Hénin- Liétard, qui cela trompe-t-il réellement ? Sur-informé, le consommateur-citoyen n’est pas dupe. »

Cette critique du langage aseptisé des organisations n’est pas nouvelle. En 1991 déjà, voici vingt ans, François-Bernard Huyghes dénonçait la « langue de coton » (Robert Laffont), notant à son propos : « Elle a le triple mérite de penser pour vous, de paralyser toute contradiction et de garantir un pouvoir insoupçonné sur le lecteur ou l’auditeur. Ses mots sont séduisants, obscurs ou répétitifs. Floue ou redondante, banale ou ésotérique, elle a réponse à tout parce qu’elle n’énonce presque rien. Ou trop, ce qui revient au même. »

Sortir, aussi, de la crise du langage
On peut certainement parler d’une crise du langage dans les organisations, et particulièrement dans les entreprises. Elle n’est pas tout à fait étrangère au cycle de financiarisation de l’économie qui s’est lancé et accéléré depuis les années 1970-1980, menant à la grande crise de 2007-2008 : le court-termisme (bilans trimestriels), l’extrême sensibilité des marchés aux résultats et aux prévisions, la confiance (bulle) puis la défiance (krach) irrationnelles font que de nombreux dirigeants de grandes entreprises préfèrent adopter le ton le plus neutre et le plus fonctionnel possible – avec au final un discours sans aspérité.

Mais le spectre d’une défiance des actionnaires et des marchés n’explique pas tout. Parmi les facteurs qui concourent à vider la langue de sa substance sémantique : la difficulté à gérer la diversité des individus et des communautés, la montée de l’émotion et du sentiment sous la pression des médias, le temps-zéro avec son manque de perspectives et d’horizons, la grégarité et le conformisme de tout milieu (économique ou politique inclus), l’aversion au risque et la peur de faire des vagues…

Il reste que, comme C. Blachas le souligne bien, personne n’est dupe de ce langage désincarné et euphémisé. Au mieux, il soulève ironie et mépris, au pire défiance et colère. C’est d’autant plus vrai que l’Internet a libéré la parole jadis concentrée dans quelques canaux de communication, de sorte que la « langue officielle » se trouve vite dénoncée par le parler vrai des individus. La triple crise financière, économique et sociale qui frappe les sociétés industrialisées depuis trois ans, peut être l’occasion de traiter aussi cette crise sémantique et lexicale. Car enfin, on parle de restaurer la confiance, de motiver les collaborateurs, de souder les troupes, de témoigner de respect, de développer l’imagination et de libérer les volontés pour restaurer des niches de croissance… tout cela commence par un nouveau langage, plus direct, plus vrai et plus clair.

Référence : Blachas C (2010), La nouvelle sémantique, CB News, 31 mai / http://www.cbnews.fr/edito
Share |

mardi 8 juin 2010

LaboCom >33< Les secrets de la motivation

Pour toutes les organisations, motiver les individus constitue un enjeu majeur. Et la récompense monétaire est souvent envisagée comme le principal facteur d’incitation à bien faire. Mais est-il le seul ?

Koji Jimura et Todd Braver (Université Wahdingto de Saint-Louis, Etats-Unis) ont eu la surprise de constater que ce n’était pas le cas. Leur expérience a réuni 31 volontaires dans un jeu relativement simple consistant à mémoriser et restituer des séries de mots. Des tests préalables de personnalité ont permis de mesurer le goût pour la compétition et la sensibilité à la récompense monétaire de chaque individu. Certains tests étaient assortis de deux niveaux de rétribution en cas de succès, 25 et 75 cents à chaque réponse correcte ; d’autres tests ne faisaient pas intervenir l’argent.

La surprise vient du résultat paradoxal : la performance des personnes les plus sensibles à la récompense monétaire a été améliorée dans les tests… où l’argent n’intervient pas ! Et cela dans une proportion supérieure par rapport aux autres participants. Croyant d’abord à une erreur, les chercheurs ont revérifié leurs résultats, qui se sont révélés exacts. L’examen par imagerie cérébrale a montré que les tests à récompense non-monétaire ne font pas intervenir la même région du cerveau dans la motivation : quand l’argent n’entre pas en ligne de compte, le cortex préfrontal latéral est davantage mobilisé. Or, cette région du cerveau est impliquée dans les stratégies cognitives supérieures et les activités orientées vers un but : « Il semble que leurs cerveaux reconnaissent un contexte motivationnel de récompense, tout au long des essais, même quand l’argent n’est plus concerné », explique Koji Jimura.

La motivation humaine est ainsi une corde sensible que l’on peut toucher par des moyens très variés. De nombreux travaux ont suggéré que la mise en valeur d’éléments culturels, symboliques et identitaires contribuait également à l’adhésion des individus aux objectifs d’un groupe ainsi qu’à l’incitation à obtenir des résultats.

Référence : Jimura K et al (2010), Prefrontal cortex mediation of cognitive enhancement in rewarding motivational contexts, PNAS, 107, 19 8871-8876, doi: 10.1073/pnas.1002007107.
Share |

mardi 1 juin 2010

LaboCom >32< Exploiter l’information à l’âge numérique : un enjeu majeur de la communication d’influence

Les réseaux sociaux (Facebook) et le microblogging (Twitter) représentent les plus importantes croissances de flux de messages sur Internet au cours des dernières années. Le phénomène est durable : il s’agit d’un nouvel écosystème de l’information qui concerne toutes les organisations. Environ 20 % des messages échangés sur Twitter (les tweets) concernent ainsi des marques ou des entreprises (Cf. LabocCom <5> : « Votre entreprise est-elle préparée aux tweets »).

Des chercheurs de l’Université Carnegie Mellon, dirigés par Noah Smith, ont analysé un milliard de messages Twitter émis en 2008 et 2009 aux États-Unis. Ils se sont demandés si ces messages pouvaient refléter l’opinion publique dans le domaine politique et économique, comme le font les instituts de sondage. La réponse est positive.

Dans le domaine économique, que nous analyserons ici, les chercheurs ont étudié la confiance des consommateurs. Celle-ci est mesurée par sondage classique à travers deux indices : Index of Consumer Sentiment (Reuters et Université du Michigan), Organization’s Economic Confidence’s Index (Gallup). Pour les tweets, Noah Smith et ses collègues ont mis au point une méthodologie à deux étapes : isoler le thème économique (par mots-clés) dans un premier temps, évaluer le contenu positif et négatif dans un second temps. Résultat : les messages Twitter expriment une plus forte variabilité sur des temps courts (au jour le jour), mais rejoignent ceux des sondages classiques lorsqu’ils sont lissés sur des périodes plus longues (plusieurs jours par exemple) ; corrélation de 72 à 79 % selon la période de lissage.

Cette recherche illustre les avancées de la linguistique computationnelle et les possibilités qu’elle offre désormais pour exploiter l’information transitant sur l’Internet – ou n’importe quel autre corpus au demeurant. Outre la démarche quantitative choisie par les chercheurs de Carnegie Mellon, il est possible d’analyser plus finement le spectre des opinions, sentiments et arguments exprimés par une population-cible. Du point de vue des organisations, et dans chaque secteur d’activité concerné, cela représente une opportunité sans précédent pour comprendre les attentes des différents publics ou suivre l’évolution de sa réputation.

Le cabinet Inférences, expert des problématiques de langage et de contenus rencontrées par les organisations, développe des solutions inspirées par ces travaux. Il aura ainsi le plaisir d’annoncer cette semaine le lancement d’un nouvel outil d’analyse informatisée de corpus, DoxoLab®.

Référence : O’Connor B et al (2010), From Tweets to Polls: Linking Text Sentiment to Public Opinion Time Series, in Proceedings of the International AAAI Conference on Weblogs and Social Media, Washington, DC, May 2010.
Share |