mercredi 16 juin 2010

LaboCom >34< Qui a peur des mots ? Sortir de le crise économique… et de la crise du langage

Il n’est question ni de rigueur ni d’austérité, mais de plan de relance. Le licenciement a fait place à la restructuration, la fermeture d’usine à la délocalisation, la récession à la maîtrise de l’inflation… Dans l’éditorial du dernier numéro de CB News, Christian Blachas analyse ce qu’il nomme la « nouvelle sémantique » : « Le XXIe siècle a inventé un nouveau langage issu de deux courants profonds : le politiquement correct (personnes à mobilité réduite, non-voyants, mal-entendants…) et le discours hypocrite qu’on pourrait aussi intituler mensonge ou gros pipeau. Pour masquer la dure réalité des faits, on invente des mots et des expressions destinés à faire passer la pilule. »

Une novlangue aux effets contre-productifs
Pour l’éditorialiste, cette novlangue édulcorée a pour but d’éviter toute émotion forte chez le récepteur du message, en commençant par la méfiance ou l’inquiétude si promptes à s’éveiller en période de trouble : « Une obsession : ne pas faire peur. Surtout, ne pas faire paniquer encore plus les marchés. Le problème, c’est que ça ne marche pas. Les investisseurs ou autres spéculateurs exigent des mesures drastiques d’économie et de réduction de la dette publique.(…) Alors, c’est bien de vouloir rassurer à tout prix, de calmer le jeu, d’enrober l’amertume des décisions par des mots sucrés ou inodores. Mais en dehors de la ménagère de Montauban ou d’Hénin- Liétard, qui cela trompe-t-il réellement ? Sur-informé, le consommateur-citoyen n’est pas dupe. »

Cette critique du langage aseptisé des organisations n’est pas nouvelle. En 1991 déjà, voici vingt ans, François-Bernard Huyghes dénonçait la « langue de coton » (Robert Laffont), notant à son propos : « Elle a le triple mérite de penser pour vous, de paralyser toute contradiction et de garantir un pouvoir insoupçonné sur le lecteur ou l’auditeur. Ses mots sont séduisants, obscurs ou répétitifs. Floue ou redondante, banale ou ésotérique, elle a réponse à tout parce qu’elle n’énonce presque rien. Ou trop, ce qui revient au même. »

Sortir, aussi, de la crise du langage
On peut certainement parler d’une crise du langage dans les organisations, et particulièrement dans les entreprises. Elle n’est pas tout à fait étrangère au cycle de financiarisation de l’économie qui s’est lancé et accéléré depuis les années 1970-1980, menant à la grande crise de 2007-2008 : le court-termisme (bilans trimestriels), l’extrême sensibilité des marchés aux résultats et aux prévisions, la confiance (bulle) puis la défiance (krach) irrationnelles font que de nombreux dirigeants de grandes entreprises préfèrent adopter le ton le plus neutre et le plus fonctionnel possible – avec au final un discours sans aspérité.

Mais le spectre d’une défiance des actionnaires et des marchés n’explique pas tout. Parmi les facteurs qui concourent à vider la langue de sa substance sémantique : la difficulté à gérer la diversité des individus et des communautés, la montée de l’émotion et du sentiment sous la pression des médias, le temps-zéro avec son manque de perspectives et d’horizons, la grégarité et le conformisme de tout milieu (économique ou politique inclus), l’aversion au risque et la peur de faire des vagues…

Il reste que, comme C. Blachas le souligne bien, personne n’est dupe de ce langage désincarné et euphémisé. Au mieux, il soulève ironie et mépris, au pire défiance et colère. C’est d’autant plus vrai que l’Internet a libéré la parole jadis concentrée dans quelques canaux de communication, de sorte que la « langue officielle » se trouve vite dénoncée par le parler vrai des individus. La triple crise financière, économique et sociale qui frappe les sociétés industrialisées depuis trois ans, peut être l’occasion de traiter aussi cette crise sémantique et lexicale. Car enfin, on parle de restaurer la confiance, de motiver les collaborateurs, de souder les troupes, de témoigner de respect, de développer l’imagination et de libérer les volontés pour restaurer des niches de croissance… tout cela commence par un nouveau langage, plus direct, plus vrai et plus clair.

Référence : Blachas C (2010), La nouvelle sémantique, CB News, 31 mai / http://www.cbnews.fr/edito
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