vendredi 20 avril 2012

Sémiotique (sauvage) des professions de foi politiques


Comme tous leurs concitoyens, l’équipe du cabinet Inférences a reçu cette semaine les professions de foi des candidats à l’élection présidentielle. Notre vocation n’est certes pas de produire des analyses politiques, mais nous vous livrons ici quelques observations rapides sur des éléments marquants dans le langage des politiques.

La nation à droite ; le concept à gauche…
Il est intéressant de noter que tous les candidats plutôt classés à droite de l’échiquier politique se réfèrent à la France dans leur slogan de première page : une « France forte » pour Nicolas Sarkozy, une « France libre » pour Nicolas Dupont-Aignan, une « France solidaire » pour François Bayrou, et un large « oui, la France » pour Marine Le Pen.

A cette inscription dans le registre de la nation, les candidats de gauche préfèrent des références à des concepts ou à des dynamiques : le « vrai changement » d’Eva Joly, « prenez le pouvoir » de Jean-Luc Mélenchon, « le changement c’est maintenant » de François Hollande, « une candidate communiste » pour Nathalie Artaud, « aux capitalistes de payer leurs crises » pour Philippe Poutou. L’inclassable Jacques Cheminade se démarque par des références étrangères et ciblées : « Un monde sans la City ni Wall Street ».

Côté couleur, la dominante est bleue pour la droite, rouge pour la gauche, et les lunettes vertes d’Eva Joly s’imposent assez malicieusement dans un portrait en gros plan. Mais il y a deux exceptions à cette colorisation attendue de la bipolarisation et de l’écologie : François Hollande a choisi le bleu qui domine plutôt dans le camp adverse, François Bayrou a tenté une synthèse entre des éléments rouges sur un fond bleu, qui sied assez logiquement à son positionnement centriste.

Le "je" et le "nous"  ne sont pas politisés…
Qu’en est-il du « nous » et du « je » ? Ces pronoms décident d’une adresse personnelle ou collective aux électeurs, centrant plus ou moins le message sur le candidat ou sur ses idées. Les candidats les plus « impersonnels », usant du « nous » et de formes infinitives ou impératives, sont Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon, Nathalie Artaud et Jacques Cheminade. Très peu de « je » pour ces discours orientés résolument sur des idées plutôt que des personnes. Trois autres utilisent un mix équilibré entre des propositions générales et impersonnelles d’un côté, des adresses à la première personne d’un autre côté : Eva Joly, Nicolas Sarkozy et Nicolas Dupont-Aignan. Nous avons enfin trois champions du « je », avec des slogans à la première personne qui ponctuent leur profession de foi (« je vais », « je garantirai », « je proposerai », etc.) : François Hollande, François Bayrou et Marine Le Pen.

Ces observations ne permettent certes pas de décider, mais offrent des perspectives intéressantes sur les connotations associées à la communication politique. Nous vous souhaitons un bon vote dimanche prochain !

Share |

mardi 17 avril 2012

Un édito sur la sémantique du développement durable dans le discours des entreprises

Dans l'éditorial de la Newsletter n°12 de Communication & Entreprise, nous avons rappelé l'enjeu majeur de toute communication durable : tenir impérativement à distance la tentation de travestir la réalité des actions accomplies en matière de RSE. L'objectif doit au contraire viser la diffusion de connaissances réelles et de pratiques susceptibles de créer une valeur durable et partagée.
Pas si simple quand les actions de l’entreprise hésitent encore entre actions responsables en faveur de l'entreprise elle-même et de l’ensemble de la collectivité, et actions en faveur de sa stricte efficacité économique. L'entreprise est un acteur complexe aux objectifs multiples, donc nécessairement confronté à des objectifs contradictoires. Assumer ces contradictions constitue peut-être un premier pas vers une communication durable… 


Sur les résultats de l'étude, lire aussi notre entretien au webzine de Communication & Entreprise 
Share |

mardi 10 avril 2012

Analyse sémantique du discours corporate des entreprises sur le développement durable / 2e édition

En collaboration avec Communication & Entreprise, le cabinet Inférences vient de publier la deuxième édition de son analyse sémantique du discours corporate des entreprises sur le développement durable.


Pas de bouleversement majeur du discours des entreprises sur le développement durable dans cette deuxième édition. Les fondamentaux ont peu bougé entre 2009 et 2011, même si l’on constate le renforcement de l’idée que le développement durable est un levier stratégique suffisamment puissant pour que des moyens et de fortes expertises lui soient consacrés.

Les principaux enseignements de cette analyse sont les suivants :

Développement durable ou RSE, une ambiguïté lexicale aux implications importantes sur l’usage du « mot » et la pratique de la « chose » 
Le lexique mobilisé pour évoquer l’action de l’entreprise en faveur du développement durable ne semble pas encore tout à fait stabilisé. Développement durable est encore utilisé 3 fois plus souvent que ne l’est RSE (7 fois plus dans le seul discours des dirigeants), alors même que le discours global de l’entreprise tend à faire la part belle à une conception très pragmatique du développement durable, donc à la RSE… Si le premier mot connote plus volontiers une vision ou une politique, le second renvoie généralement à une démarche et des pratiques concrètes. Une bonne distribution des rôles donc mais qui souffre de nombreuses exceptions qui devraient alerter la communauté des communicants.

Fin d’une utopie et de la culpabilisation morale… naissance d’un monde de projets !
Les postures morales marquent le pas, au bénéfice d’une éthique de l’action propre à l’entreprise et à l’exercice de sa rationalité. Sur fond de volontarisme et d’indicateurs mesurés, nous assistons au troc d’une posture jusqu’à présent tout en « savoir-être », pour une mobilisation de « savoir-faire » experts dont l’entreprise revendique désormais la maîtrise.

De la gestion des contraintes exogènes à la revendication de contraintes endogènes
Le développement des chartes (d’éthique, RSE, d’engagements responsables…) constitue en effet un signe qui tend vers l’imposition de contraintes endogènes. Au respect de la loi, vient désormais s’ajouter celui de principes édictés par l’entreprise elle-même et qui ont – peut-être parfois un peu facilement – force de preuves.

Une aspiration relationnelle encore souvent abstraite
Le « dialogue avec les parties prenantes » remporte un franc succès dans la rhétorique de l’entreprise. Incontestablement désiré, bien souvent revendiqué, ce dialogue reste toutefois bien abstrait : quelles parties prenantes ? Quelle nature de dialogue ? Pour dire quoi au juste ? Pour quels constats ? Ces questions restent sans véritables réponses. L’entreprise relationnelle n’est donc pas à l’ordre du jour. Relationnelle et dialogique, l’entreprise le deviendra dès lors que sa communication sera suffisamment « adulte » pour entrer dans des processus authentiquement dialectiques avec ses parties prenantes. Des processus qui supposent que l'entreprise assume certaines contradictions et cesse de présenter un visage lisse auquel, du reste, plus personne ne croît. Alors seulement, le « dialogue avec les parties prenantes » trouvera sans doute à s'incarner…
Share |