mardi 4 mai 2010

LaboCom >28< Entreprise et “transparence” : les externalités, nouvel enjeu de la communication corporate

Dans la livraison d’avril 2010 de la Harvard Business Review, Christopher Meyer et Julia Kirby publient un article sur le « leadership à l’âge de la transparence » qui a déjà soulevé de nombreux commentaires.

Retour aux années 1980. Les entreprises du tabac nient les liens entre la fumée et le cancer ou l’addiction, dissimulent des travaux menant à ces conclusions, et préfèrent mettre en avant des recherches présentant des résultats qui relativisent l’existence de ces liens.

Vingt ans après, et quelques communications de crise plus tard, des entreprises du secteur agroalimentaire n’hésitent pas à reconnaître l’implication des nourritures trop grasses, trop sucrées et trop salées dans des pathologies comme l’obésité, les troubles cardiovasculaires, le diabète de type II ou certains cancers. Cette “transparence” a porté ces entreprises à développer de nouveaux produits riches en acides gras insaturés (ou allégés en sel et sucre), à publier les teneurs caloriques de leurs produits, à sponsoriser des initiatives de santé, à s’associer à des actions de prévention, à informer les consommateurs sur les risques, à proposer des labels de qualité, à développer leur R&D pour trouver des solutions économiques, saines et néanmoins agréables au goût – même si les vertus sanitaires de certains produits ont parfois été largement exagérées et sur-vendues… 

Changement de postures, une mutation en cours
En vingt ans, les postures adoptées par certaines entreprises ont donc nettement évolué, reléguant les attitudes de déni et de lobbying forcené – et parfois même un peu « trouble » – au musée de la communication corporate.

Ce qui a changé dans cette période, c’est notamment l’information du public par Internet. Les anciens médias, moins nombreux et concentrés, ont laissé place à un système planétaire de circulation de l’information. Publier une information, qui peut potentiellement connaître un succès viral mondial, devient un jeu d’enfant pour tous les consommateurs, usagers, associations et relais d’opinion. Par exemple, en mars dernier, le groupe Nestlé a vu son cours de bourse perturbé et son image brouillée après la dénonciation par Greenpeace sur Internet de l’extraction d’huile de palme dans les forêts indonésiennes. Ce qui était rare à l’époque de la radio, de la télévision ou des journaux est en passe de devenir la règle, avec des conséquences locales ou globales parfois importantes. Et l’entreprise est mal équipée pour y répondre, encore prisonnière d’une communication de moins en moins adaptée à l’écosystème Internet…

Rendre compte des externalités : nouvel horizon de la communication corporate
Meyer et Kirby soulignent que l’entreprise a longtemps mis en avant la “transparence” comme principe de gouvernance, mais qu’elle s’en est en réalité rarement donné les moyens. Aussi perd-elle souvent du temps, de l’énergie et de l’argent à multiplier des initiatives désordonnées pour donner une image politiquement, socialement et écologiquement correcte, au lieu d’apporter rationnellement les preuves de sa transparence revendiquée. Selon les deux auteurs, cela passe par une révolution : admettre l’existence d’externalités, c’est-à-dire assumer les effets secondaires (positifs ou négatifs) d’une activité économique sur l’environnement, la santé, la qualité de vie ou tout autre facteur.

Pour Meyer et Kirby, les entreprises leaders de demain seront celles qui assumeront publiquement l’existence et la mesure de leurs externalités, en feront les bases du dialogue avec leurs parties prenantes, mettront au point des programmes d’internalisation des externalités négatives, orienteront leur politique de recherche et d’innovation dans l’objectif de les réduire ou de les faire disparaître.
 
La communication responsable comme laboratoire d’expérimentation ?
Cette prise de position de Meyer et Kirby rejoint dans une large mesure les conclusions de l’étude récemment publiée par le cabinet Inférences sur le discours corporate des entreprises sur le développement durable. En matière de communication, notre étude a en effet révélé que ce discours ne favorisait pas une lisibilité des enjeux sociaux et environnementaux de l’entreprise, et moins encore de la réponse qu’elle entendait y apporter. Non pas que l’entreprise fasse preuve de mauvaise volonté : les initiatives sont au contraire multiples, mais il manque avant tout une vision stratégique qui s’appuie sur un état des lieux précis et “transparent”, ainsi que sur un dialogue constant avec les parties prenantes.

Tant que cette mutation ne sera pas accomplie, on peut supposer que l’entreprise dépensera beaucoup d’argent pour des efforts qui ne seront pas toujours appréciés à leur juste valeur.

Référence : Meyer C., J. Kirby (2010), Leadership in the Age of Transparency, Harvard Business Review, avril.
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