mercredi 26 mai 2010

LaboCom >31< Demain le neuromarketing ?

Le marketing est réputé pour être à l’affût des plus récentes innovations permettant de comprendre et surtout d’anticiper le comportement d’un consommateur ou le succès d’un produit. Aussi n’est-il pas étonnant qu’il se soit rapproché depuis une dizaine d’années de disciplines scientifiques en plein essor – neurosciences cognitives et imagerie cérébrale – pour donner naissance à une démarche appelée le « neuromarketing ».

Dans un article de synthèse publié dans Nature Reviews Neuroscience, Dan Ariely et Gregory Berns proposent une analyse utile de cette approche. Avec deux questions : le neuromarketing pourrait-il se révéler moins coûteux que les méthodes traditionnelles ? Le neuromarketing est-il susceptible de révéler des dimensions inaccessibles aux « vieilles » méthodes ?

La réponse à la première question est négative. Un test en neuromarketing mobilise des outils d’imagerie cérébrale dont les plus efficaces, comme l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) sont coûteux à la location. Ils exigent un personnel médical et scientifique qualifié, notamment pour l’interprétation des signaux fins de détection (MVPA). De surcroît, le cerveau humain étant aussi variable que la psychologie en découlant, un test en neuromarketing demande le croisement de plusieurs échantillons représentatifs de la cible. Autant de contraintes qui réservent cette technique d’avant-garde à des projets de grande ampleur. Les auteurs citent l’architecture, le divertissement (jeux ou films), les campagnes politiques, la parapharmacie et l’agro-alimentaire comme des secteurs susceptibles de recourir au neuromarketing dans le cadre de lancements, de projets ou d’événements particulièrement importants.

Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Oui, déclarent les chercheurs, si l’on attend des informations inaccessibles aux focus groups, questionnaires de préférence, choix simulés de produits et autres tests en conditions plus ou moins réalistes. La raison en est que l’on identifie de mieux en mieux les corrélats neuronaux de nos attitudes psychologiques explicites aussi bien qu’implicites. Concrètement, une stimulation va éveiller avec plus ou moins d’intensité des aires très précises dans le cerveau des sujets. Il n’existe certes pas de bouton « j’achète » dans notre esprit, car l’acte d’achat relève finalement de logiques comportementales très complexes, mais on parvient en revanche à mesurer avec une certaine efficacité le plaisir associé à un usage ou une expérience (quel qu’en soit le sens : vision, goût, toucher, etc.), les émotions primaires (comme la joie, la colère ou la peur), les circuits de la récompense et de la décision… Par ailleurs, des analyses statistiques assez poussées (par méthode bayésienne) suggèrent qu’il existe un décalage de significativité entre activation neurale et expression verbale, au bénéfice de la première. Cela signifie que voir ce qui se passe à l’intérieur de l’esprit peut, dans certains cas, se révéler plus efficace pour anticiper un comportement à venir, ou au moins pour évaluer l’impression réellement ressentie lors d’une expérience ou d’un test. 

Mais outre son coût et son efficacité encore limitée à certains aspects de la cognition, le neuromarketing doit aussi affronter des problèmes d’éthique et d’image. Il n’est pas tout à fait anodin d’envoyer des ondes dans un cerveau… Et l’entreprise ou l’organisation, qui emploie ces méthodes en dehors de travaux de recherche, court le risque d’être accusée de manipulation cynique de sa cible. En soi, ce reproche n’est qu’à demi fondé puisque l’objectif, lui, est très exactement identique à celui des techniques actuelles… c’est le moyen qui change, pas l’intention. Mais les débats toujours houleux sur les biotechnologies et nanotechnologies montrent que l’opinion est plus sensible à certains thèmes que d’autres.

Référence : Ariely D, GS Brns, Neuromarketing : the hope and hype of neuroimaging business, Nature Reviews Neuroscience, 11, 284-292, doi:10.1038/nrn2795
A lire : un ouvrage de référence vient de paraître en français sur un domaine plus large que le seul neuromarketing, Christian Schmidt, Neuroéconomie, Odile Jacob, 2010.
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