mardi 27 octobre 2009

LaboCom >3< Suicide au travail : une synthèse au-delà de l’actualité

Depuis plusieurs semaines, l’actualité pose de manière tragique la question du stress au travail et du suicide dans le cadre professionnel. Pour éclairer cette problématique sans pour autant désigner des responsabilités ou des culpabilités, comme l’émotion incite parfois à le faire, nous revenons sur un article de Jong-Min Woo et Teodor T. Postolache paru l’année dernière. Cet article qui présente l’avantage d’être une synthèse de la littérature existante sur le sujet (1). Les deux auteurs en sont psychiatres, l’un en Corée (École de médecine de l’Université Inje) et l’autre aux États-Unis (École de Médecine de l’Université du Maryland).

L’amour et le travail sont deux domaines de l’existence où les individus trouvent des accomplissements majeurs. Mais ce sont aussi deux domaines fréquemment associés à des facteurs de stress, dont certains représentent une menace pour la vie elle-même. Le milieu professionnel est spécifiquement associé au stress pour de nombreuses raisons : insécurité de l’emploi, mutations rapides du cadre de travail, compétition entre individus, services ou groupes, mobilisation cognitive intense. Cela peut entraîner des affections psychologiques (perte d’estime de soi, sentiment d’infériorité ou d’inutilité, peur de l’incertitude) manifestations psychosomatiques (par exemple insomnie, anxiété, dépression) ainsi que des conséquences professionnelles (désintérêt pour son travail, absentéisme, baisse de performance). Il est à noter que le chômage est lui aussi fortement associé aux troubles psychiatriques comme à la mortalité par suicide.

Une inégalité démontrée face au suicide
Les troubles de l’humeur sont répandus dans la population générale et représentent une perte importante de productivité dans le monde du travail. On estime ainsi que 4 à 10 % des employés souffrent de dépression caractérisée (épisode dépressif majeur), 1 à 2 % de trouble bipolaire. Les femmes sont deux fois plus concernées que les hommes. Le lien entre l’augmentation tendancielle du stress sur le lieu de travail et la hausse observée des dépressions et des suicides a été proposé par certains auteurs (Mausner-Dorsch et al 2000, Steven 2000, Melchior et al 2007), mais le rapport direct de causalité n’est cependant pas établi. Il a été montré que les taux de dépression et de suicide varient selon les types d’emplois, avec certaines professions à haut risque. Pour la dépression : service de santé, travail social, éducation, restauration ; pour le suicide, professions juridiques, dentistes, artistes, mécaniciens, garagiste, travail du bois (les taux de suicide les plus élevés s’observent cependant dans les professions ayant accès à une arme – police, armée – ou à des substances toxiques – personnel médical –, ainsi que dans le monde rural et agricole).

Les 6 causes possibles du suicide au travail
On peut classer dans six catégories les facteurs du milieu professionnel ayant un effet sur l’humeur et, potentiellement, sur le risque suicidaire
- Environnement chimique : le trouble est directement associé à une intoxication entraînant des perturbations neurales.
- Environnement physique : un éclairage de mauvaise qualité a des effets sur le fonctionnement cérébral (mélatoninergique, sérotoninergique) et peut être associé à des dysphories. Les expositions au bruit, à l’humidité ou à des variations thermiques sont des facteurs de stress reconnus.
- Environnement biologique : l’exposition aux virus, bactéries, parasites et agents allergènes affecte indirectement l’humeur.
- Environnement psychologique : il est bien sûr déterminant dans l’équilibre des individus. Plusieurs études longitudinales ont montré que le stress dans le cadre professionnel est un facteur de risque pour la dépression et l’anxiété, de même qu’une charge de travail excessive et des pressions extrêmes sur l’emploi du temps.
- Environnement social : les interactions de l’individu avec ses collègues et sa hiérarchie sont également déterminantes, selon qu’elles sont positives, neutres ou conflictuelles. On a montré que des rapports problématiques sont associés aux troubles de l’humeur et à la morbidité psychiatrique (suicide, mais aussi violence, menace, altercation, harcèlement sexuel).
- Travail posté et décalage horaire : les troubles du sommeil sont reconnus comme ayant un impact important sur la survenue de dépression, de trouble bipolaire et de suicide.

Que faire ?
Dans le cas du suicide en particulier, une étude prospective menée sur le suicide au travail au Japon (karo jistasu) montre que l’absence de soutien social des individus fragiles multiplie par quatre le risque de passage à l’acte, les autres facteurs déterminants étant une pression psychologique importante, une faible latitude de décision et un temps de travail élevé. Il est à noter que la moitié des victimes ont contacté un service médical pour des troubles non spécifiés, mais qu’aucun n’a bénéficié d’une consultation psychologique ni d’un traitement pour le stress, l’anxiété ou la dépression.
Comment rendre le milieu professionnel moins anxiogène et en dernier ressort moins morbide ? Chacune des six catégories évoquées peut faire l’objet d’un plan d’amélioration concertée. En outre, les Pr Woo et Postolache suggèrent plusieurs besoins communs et génériques : faire de l’amélioration des conditions de travail une priorité du management ; mener des évaluations régulières sur la base de critères partagés dans l’entreprise, et entreprendre les actions correctives si nécessaire ; associer un système de soin psychologique (les individus passent parfois plus de temps de veille au travail que chez eux) ; prévoir des programmes d’assistance pour les plus vulnérables ; développer le conseil et l’écoute (téléconseil ou présence d’un psychologue).

Au cœur de ces actions, la nécessité forte de donner du sens à l’action de l’individu au sein de sa communauté de travail et, bien souvent, de repenser la communication interne et managériale à nouveau frais.


Référence : Woo JM, TT Postolache (2008), The impact of work environment on mood disorders and suicide : Evidence and implications, Int J Disabl Hum Dev, 7, 2, 185-200.
(1) Merci au Pr. Postolache de nous avoir transmis son article.
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