jeudi 1 octobre 2009

La tragédie des suicides et l’évolution du management

Dans Les Échos, intéressante analyse de Gilles Verrier (directeur d’Identité RH et professeur associé à Sciences Po Paris) sur la « vague » actuelle des suicides en entreprise. « Après Renault, PSA et EDF, France Télécom est à la une de l'actualité avec ses 23 suicides. Le sujet fait recette, avec son cocktail de pathos, de sensationnel et de réponses simplistes, tout comme le thème des séquestrations il y a quelques mois. Au-delà des spécificités de France Télécom, la multiplication d'actes désespérés dans différentes entreprises révèle un malaise profond qui va bien au-delà des personnes qui passent à l'acte et touche aujourd'hui une part importante de la population salariée. Pour de nombreuses personnes, le travail est devenu source de stress, voire de souffrance. »

Observant que certaines entreprises préfèrent le déni pur et simple de cette réalité, quand d’autres en confient la délicate gestion à un service psychologique individualisé au sein de la médecine du travail, Gilles Verrier continue : « Ce qui est en cause, ce sont les modes de fonctionnement des entreprises concernées, leurs pratiques d'animation des hommes et de management. Leur objectif est clair : générer de la performance. Mais la voie adoptée par certaines est celle de la pression au quotidien sur les personnes, des objectifs matraqués, de la déshumanisation et de la déresponsabilisation. (…) Ce qui donnait des résultats lorsque le travail était prescrit et répétitif (« serrer des boulons ») ne fonctionne plus avec le travail du savoir (« produire du jus de cervelle ».) Ce qui était efficace dans la société d'hier ne l'est plus, appliqué à des personnes qui dans la vie hors travail ont une autonomie et des champs de décision sans comparaison avec ceux qu'ils avaient il y a trente ans. (….) Générer de la performance fait partie du non-négociable pour l'entreprise. Mais ce résultat est une résultante : il peut naître de l'investissement au quotidien des salariés dans leur activité, sous réserve que cet engagement soit choisi et que le résultat soit généré par la motivation. »

3 pistes pour manager « autrement »
Gilles Verrier propose trois pistes pour que les objectifs de performance ne soient plus perçus comme des contraintes subies : donner du sens à la recherche de performance en l'inscrivant dans un projet partagé ; traiter ses salariés comme des adultes, en développant leurs marges de manœuvre et d'autonomie ; réinvestir dans le management de proximité, en inversant la tendance de ces dernières années.

Ces observations rejoignent les réflexions que le cabinet Inférences a formulées sur ce blog ou dans ses études, notamment sur le rôle croissant des valeurs et du sens dans l’entreprise. Dans ses travaux sur la « modernité réflexive », le sociologue Anthony Giddens observe que nos sociétés modernes se sont construites jusque dans les années 1960 sur un compromis socio-historique et psychologique : recherche de rationalité et domination de la nature ; individualisation (sortie des communautés et traditions) ; confiance dans ses identités sociales et les institutions. Les Trente Glorieuses ont illustré cet équilibre dominé par le volontarisme des actions humaines, la pacification des rapports sociaux, l’extension lente de la sphère privée.

Vers un nouveau contrat social
Mais au cours des quarante dernières années, ces tendances ont été malmenées. L’extrême rationalisation de toute tâche a eu tendance à concentrer l’attention sur les moyens au détriment des fins, conduisant à une perte de sens. L’individualisation n’a pas été toujours profitable, provoquant désengagement ou désarroi chez les plus fragiles ; les collectifs (dont l’entreprise) et les institutions perdent leur centralité tandis que progresse une distance cynique ou fataliste vis-à-vis des obligations communautaires. Il se peut que la conjonction actuelle de la crise économique, des menaces environnementales et des progrès technologiques, notamment dans la communication interpersonnelle, soit l’occasion de définir un nouveau contrat entre individus et entreprises, au sein d’une « économie réflexive » capable d’intégrer les facteurs non-économiques mais ô combien déterminants qui traversent toutes ses activités.
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