lundi 30 mars 2009

Sens, éthique et entreprise

par Jean Laloux

Réguler, contrôler, tempérer, réformer, corriger, moraliser… les verbes exprimant ce qu’il conviendrait de faire avec le capitalisme sont désormais nombreux, et tendent tous vers un même sémantisme : la recherche d’une éthique applicable à l’entreprise et au-delà, d’une éthique du capitalisme. Ce thème aujourd’hui très présent dans les discours — jusqu’à la dernière prise de parole du chef de l’Etat à Saint-Quentin —, va rapidement retentir sur les discours et la communication des entreprises. Que faire de l’éthique ? Sur quels fondements orienter et concevoir des codes, guides ou chartes éthiques ? Avec quel contenu ? Quelles valeurs revendiquer aujourd’hui ?

L’entreprise, clé de la sortie de crise
Deux articles récents ont abordé la question de l’éthique sous des angles différents et en évitant chaque fois le registre des incantations conjuratoires dont se délectent les politiques. Le premier, signé Nicolas Baverez est paru dans lemonde.fr le 2 mars 2009, L’entreprise, clé de la reprise. L’essayiste aronien voit dans l’entreprise l’alpha et l’oméga de la sortie de crise. A la fois régulatrice et modernisatrice du capitalisme, l’entreprise « règle le partage de la valeur ajoutée entre le travail, le capital et les prélèvements qui financent les services publics », et détermine, par ses propres mutations, les évolutions des modes de production, voire les équilibres économiques. Seulement voilà, ce système d’organisation spontanée ne peut fonctionner que si « la foi dans l'autorégulation des marchés [repose] sur le principe qu'actionnaires et dirigeants [défendent] le développement pérenne de l'entreprise ; en réalité, ils ont privilégié leur enrichissement immédiat au détriment de sa croissance à long terme ». Sous la plume de ce libéral conséquent et convaincu, ce constat sonne comme une critique de l’idée selon laquelle la sphère économique serait à la fois autonome et autorégulée. Nicolas Baverez n’hésite pas à en appeler à une réforme du capitalisme qui « passe par la régulation des marchés, mais aussi par la reconnaissance de l'entreprise comme une institution à part entière. Une institution qui dispose de droits et d'obligations qui lui sont propres et qui transcendent ceux de ses parties prenantes — salariés, actionnaires, cocontractants, clients […] ; qui, parce qu'elle détermine la création et la répartition de la richesse, participe du bien commun ; qui doit être protégée par des règles compatibles avec des stratégies de long terme et être soumise à un principe de responsabilité s'appliquant à elle-même et à ses parties prenantes. ». Conception de l’entreprise plus rhénane qu’anglo-saxonne qui suppose, pour avoir quelque chance de prendre corps dans la réalité, l’instauration d’un nouveau contrat de confiance entre l’entreprise et ses interlocuteurs internes / externes. Elle pose en creux la condition d’une éthique pour l’entreprise qui lui permette d’être une institution à part entière dont les droits et les obligations devraient pouvoir transcender ceux des parties prenantes.

Le capitalisme, la main dans la confiture
Le second article, paru également dans lemonde.fr dans son édition du 3 mars 2009, est signé Jean-Paul Fitoussi. Son titre : La crise économique et l'éthique du capitalisme.
L’interrogation de l’économiste est sans fard : « Nous vivons une époque où l'éthique semble avoir envahi l'espace : le commerce est éthique, la finance est éthique, les entreprises adoptent des chartes éthiques, etc. […] L'émergence de l'éthique est-elle une réaction au spectacle affligeant des conséquences morales et sociales d'un monde économique déserté par l'éthique ? »
Comme Nicolas Baverez, Jean-Paul Fitoussi ne croit pas — et n’y a sans doute jamais cru — à la capacité d’autorégulation du capitalisme et des marchés : « L'autonomie de l'économie est une illusion, comme sa capacité à s'autoréguler. Et c'est parce que le balancier a penché un peu trop du côté de cette illusion que nous en sommes arrivés à la rupture présente. […] L'éthique, pensait-on, serait mieux servie si l'on régulait davantage le fonctionnement des Etats et si l'on dérégulait davantage les marchés. L'ingéniosité des marchés financiers d'abord, leur aveuglement ensuite, a fait le reste ». Et plus loin, Jean-Paul Fitoussi touche aux fondements même de l’éthique en esquissant ce qui, selon lui, équivaudrait à une définition de la vie bonne dans l’espace économique : « Si l'on forme l'hypothèse optimiste que l'altruisme intergénérationnel est "un sentiment moral" spontané, comme semble l'indiquer l'attention portée par chacun au destin de ses enfants, on perçoit bien alors comment une réduction des inégalités pourrait réconcilier le capitalisme avec le long terme ».

De l’appel à l’éthique à la définition du sens
Rédigés par des personnalités aux options politiques différentes, ces deux articles dénotent une similitude de points de vue qui posent la question des fins. Pour Nicolas Baverez, quelle est la finalité des entreprises ? Pour Jean-Paul Fitoussi, quelle est la finalité du capitalisme ?
C’est donc une fois encore la question du sens qui est posée. Donner du sens aux stratégies d’entreprises, donner du sens à l’action des salariés… L’injonction paraît surannée, mais revêt pourtant, dans le contexte actuel, un caractère d’urgence. Gérer les équilibres de pouvoir, rééquilibrer la redistribution des richesses produites ou motiver les salariés, il faut pouvoir donner du sens à ces impératifs auxquels aucune entreprise n’échappera dans les années à venir.
Le court-termisme, en partie imposée par des logiques exclusivement financières qui ont voulu croire qu’il était possible de s’affranchir de la réalité de l’entreprise, doit donner un autre sens que le pur profit. De toute évidence, ce court-termisme-là ne rencontrera pas de sitôt la confiance des acteurs économiques ni de la société. En matière de communication, le retour à une vision de l’entreprise inscrite sur le long terme ouvre un champ des possibles d’une grande richesse, tant conceptuelle qu’opérationnelle.
Share |

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire