mercredi 25 mai 2011

Sensibilité à fleur de… crise. Crises : réalités et perceptions

D’un avion de ligne s’écrasant sur les tours jumelles de Manhattan à un directeur du FMI arrêté pour présomption de viol, d’effondrements financiers historiques en séismes et tsunami accouchant d’accidents nucléaires, de révolution des peuples arabes en crise de l’endettement européen, de chocs pétroliers et énergétiques en yo-yo du cours de matières premières et agricoles, on a parfois l’impression que notre monde est désormais formé d’une succession d’événements inattendus, porteurs de crises et de catastrophes à venir. S’agit-il d’une illusion ou d’une réalité ?

Une perception de la réalité en évolution
Pour l’hypothèse de l’illusion, le dernier essai de Bruno Tertrais nous assure que « l’apocalypse n’est pas pour demain ». Cet enseignant et chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique passe en revue toutes les statistiques disponibles, et conclut : sur le long terme, notre monde n’a jamais été aussi riche, bien nourri, bien soigné, paisible. Nos grands-parents vivaient moins longtemps, dans un environnement moins sain avec moins de choix de vie ; c’est vrai les pays les plus riches, mais aussi dans les pays les plus pauvres. Les grandes menaces environnementales comme la perte de biodiversité ou le réchauffement climatique sont encore entachées de nombreuses incertitudes scientifiques sur l’évaluation exacte de leur portée. La mortalité globale par guerre et terrorisme a reflué. Et les grandes crises économiques n’effacent nullement les gains de croissance cumulés décennie par décennie.

Qu’est-ce qui a changé dès lors ? Peut-être tout simplement notre sensibilité à la crise. D’abord dans un sens psychologique : génération après génération, la modernité se montre de plus en plus sensible à la souffrance, à l’injustice, à la violence et à l’exclusion. Nous nous étonnons que des aïeux aient toléré des situations que nous jugeons intolérables. Et que leur existence ait été parsemée de risques que nous estimons désormais inacceptables. Mais l’accentuation de notre sensibilité au risque a également une base médiologique : la télévision d’abord, Internet ensuite favorise la circulation et la démultiplication des images (qui frappent les imaginations) et des conversations (qui, par un tropisme humain bien connu, concernent plus fréquemment les mauvaises que les bonnes nouvelles et donne une prime de diffusion au plus sensationnel ou au plus inquiétant).

Les entreprises face à l’”amplificateur Internet”
Pour les entreprises, cette plus grande sensibilité à la crise se manifeste de manière aiguë par l’importance croissante de l’image de marque, des effets de mode et de la dépendance à de nombreuses parties prenantes pouvant se montrer susceptibles à des événements ou des informations adverses. Stéphane Lauer rappelle dans Le Monde la portée de ce nouvel environnement. Tepco ruiné par un accident nucléaire, Sony affaibli par des cyber-attaques, Servier cloué au pilori pour un problème sanitaire, Renault déstabilisé par une pseudo-affaire d’espionnage, Orange France Telecom montré du doigt après le suicide de salariés, BP entraînée par une marée noire, la Société Générale secouée par un trader imprudent… on n’en finirait pas de lister ces entreprises puissantes qui traversent des situations de crise, et doivent les gérer au mieux pour sauver leur activité dans la pire hypothèse, ou pour préserver leur réputation dans la moins mauvaise.

Face à une crise, les entreprises doivent gérer sa réalité (les causes et les conséquences matérielles et humaines) comme sa perception (les impacts psychologiques chez les collaborateurs et dans l’opinion), en ayant à l’esprit que la seconde dimension, du fait de notre sensibilité accrue aux situations menaçantes ou révoltantes, est désormais capable d’amplifier à l’extrême les effets néfastes de la crise. Elles doivent pour cela se doter d’outils nouveaux, plus fins dans l’analyse des opinions (leur nature, leur genèse, leur propagation), plus réactifs dans la réponse. Là comme ailleurs, c’est du côté d’Internet que les regards se tournent, compte tenu de son rôle désormais moteur dans la production de l’information partagée. Ce que la crise DSK a encore rappelé : radios et télévisions ont couru derrière Twitter tandis que les réseaux sociaux, pure players et grands éditorialistes en ligne lançaient le procès des anciens médias.

Références : Lauer S (2011), Les entreprises, les crises et le principe de réalité, Le Monde, 1er mai. Tertrais B (2011), L’apocalypse n’est pas pour demain. Pour en finir avec le catastrophisme, Denoël.
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