mardi 5 avril 2011

Lost in management. Le management de proximité sous la double contrainte

Les entreprises connaissent des mutations au rythme des générations, tenant à la nature du travail (de plus en plus orienté tertiaire et service) comme à son organisation. Chercheur au CNRS puis à enseignant à l’INSEAD, sociologue des organisations, François Dupuy ausculte ces phénomènes depuis de nombreuses années. Son dernier ouvrage est fondé sur l’analyse de 18 grandes sociétés représentant des secteurs très différents (banques, assurance, supermarchés, hôpitaux, administrations). Il souligne le malaise que traverse le management en ce début de siècle.

La sortie des Trente Glorieuses a été marquée par plusieurs traits dominants :
  • la compétition nationale et internationale est plus rude, la pression pour la rentabilité s’est renforcée et diffusée à toutes les strates de l’entreprise ;
  • des traits culturels comme le paternalisme ou l’autoritarisme ont presque totalement disparu du paysage managérial ;
  • les vertus de l’autonomie, de l’initiative, de la flexibilité et du dialogue ont été reconnues à divers échelons du travail.
Ces mouvements sont en partie contradictoires : on a allégé certaines contraintes dans les rapports interpersonnels (moins d’autorité, plus d’autonomie), mais en même temps on a renforcé la contrainte majeure, une productivité au service d’une profitabilité indispensable à la survie. Comment concilier cela ? Beaucoup d’entreprises ont mis en place des politiques de reporting et d’évaluation, des stratégies de projets et de changements associés à des indicateurs de résultats. Mais cela s’est traduit par une avalanche de chiffres, mesures, rapports, règles et procédures perçues comme chronovore et froide. Les incantations à la « chaleur » des relations au travail paraissent du même coup assez décalées et artificielles, motivantes uniquement quand il existe préalablement un esprit d’équipe lié à des situations spécifiques.

La principale victime de cette tenaille est le management de proximité : interface entre une direction assez lointaine, occupée aux affaires stratégiques ou financières, et une base difficile à mobiliser, oscillant souvent entre scepticisme et cynisme. Pour François Dupuy, qui cite plusieurs exemples d’entreprises ayant évité ces écueils, on peut sortir du blocage managérial.

D’abord en prenant au sérieux l’autonomie, au lieu d’en faire un slogan non suivi d’effets c’est-à-dire en laissant les équipes décider de règles communes pour parvenir à des objectifs, sans toujours imposer « d’en haut » des grilles évaluatives rarement en adéquation avec les logiques de terrain. Ensuite en acceptant des confrontations et en permettant aux divergences de vue de s’exprimer, au lieu d’une langue de bois ou de coton consensuelle qui ne provoque qu’une adhésion superficielle des collaborateurs. Enfin, en conjurant les « silos » par une interdépendance croissante des fonctions et des services au sein de l’entreprise, permettant de répartir les charges de travail et d’élargir les horizons de mobilité. Alors peut se restaurer la confiance souvent perdue dans l’encadrement intermédiaire. Et au-delà dans les valeurs et la vision de l’entreprise.

Références : Dupuy F (2011), Lost in management. La vie quotidienne des entreprises au XXIe siècle, Seuil, 268 p.
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