mercredi 20 avril 2011

Les mots et les choses… Le pouvoir des métaphores sur l’esprit

La métaphore est une figure de style classique du langage écrit et parlé. Comme le souligne Lera Boroditsky, professeur à l’université Stanford, « nous ne pouvons parler d’une situation complexe sans employer des métaphores. Elles ne servent pas qu’à décorer un langage ; elles donnent forme à nos conversations sur des choses que nous essayons d’expliquer ou de représenter. Et elles ont des conséquences pour décider quelle approche nous estimons appropriée à la résolution d’un problème ». Son étudiant et doctorant Paul Thibodeau précise : « Certains suggèrent qu’un mot sur 25 est formé d’une métaphore. Mais nous ne savons pas dans quelle mesure elles nous influencent ».

Pour tester cette influence de la métaphore sur nos convictions et représentations, ces deux chercheurs ont soumis 485 étudiants, dont les opinions politiques avaient été auparavant renseignées, à cinq tests. Le thème choisi était le crime, dans la ville (imaginaire) d’Addison. Pendant l’expérience, les étudiants se sont vus exposer une situation sensible en matière de criminalité, parfois assortie de données chiffrées (par exemple, plus de 10 000 crimes supplémentaires enregistrés sur une période ; nombre de meurtres passé de 330 à plus de 500).

Mais Boroditsky et Thibodeau ont également fait varier les métaphores dans la description de cette situation. Une catégorie d’exposés représentait le crime comme un « monstre » menaçant la collectivité, une autre comme un « virus » infectant la cité.

Résultat : les mots contribuent bel et bien à forger ou former les convictions. Ainsi, les représentations du crime comme un monstre ont incité dans 74 % des cas à appeler à plus de répression, alors que ce chiffre tombe à 54 % quand ce même crime devient un virus. Les résultats sont indépendants des opinions, mais aussi des statistiques. Quand on leur demande ce qui a pu influer leur opinion au cours des expériences, les étudiants mentionnent les chiffres, mais ils ne sont 15 sur 485 à suggérer que les mots les ont éventuellement orientés. Non seulement la métaphore est puissante, mais elle est discrète !

À n’en pas douter, la période électorale qui s’ouvre en France va voir fleurir les métaphores en tout genre, car les candidats politiques sont friands de cette figure qui permet de marquer les opinions publiques. Il en va de même pour les médias, bien sûr, et le cabinet Inférences avait par exemple noté la prégnance des métaphores dans son étude sur les représentations de la crise financière et économique. Et l’entreprise ? Elle en use également, sans doute avec plus de parcimonie que d’autres car son discours est plus opérationnel, technique… et policé. Mais qu’il s’agisse des discours des dirigeants, du storytelling de la communication interne ou externe, des ressorts de motivation du management et des ressources humaines ou encore de la communication de crise, il est raisonnable de penser que la métaphore peut irriguer, sinon orienter, les convictions qui s’expriment dans l’univers économique.

Référence : Thibodeau PH, L Boroditsky (2011), Metaphors we think with: The role of metaphor in reasoning, PloS ONE, 6(2): e16782. doi:10.1371/journal.pone.0016782
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