jeudi 3 mars 2011

La politique de la colère… Le discours de l’indignation comme caution de proximité

Un fait divers qui entraîne prises de parole politiques et surenchères médiatiques… nos démocraties d’opinion en sont assez coutumières. Certains le déplorent, considérant que le phénomène conduit davantage à des lois de circonstance dictées par une orchestration des émotions et une logique court-termiste qu’à une évaluation rationnelle d’un fait, envisagée sur le long terme. Cette tendance paraît cependant répondre à une inclination « naturelle » : sur nombre de sujets débattus, il est en effet difficile de ne pas faire transparaître des éléments émotionnels, et d’en faire parfois le cœur réel de son argumentation.

Des chercheurs américains viennent de s’intéresser à ce phénomène. Jeffrey Berry et Sarah Sobieraj (Université Tufts) se sont penchés sur ce qu’ils appellent les « discours de l’indignation » : une prise de parole politique ayant pour objet de provoquer des réponses viscérales (peur, colère, révolte morale) à partir de certains procédés cognitifs et sémantiques (généralisation abusive, sensationnalisme, information partielle, attaques ad hominem, etc.).

Pendant une période de 10 semaines (printemps 2009), quatre chercheurs ont passé en revue les émissions TV et radio, les blogs et les journaux pour former un corpus représentatif des prises de parole de personnalités libérales et conservatrices aux États-Unis. Ils ont soumis ce corpus à une grille d’analyse de 13 variables quantifiables (par exemple : nombre d’insultes, nombre d’interpellations en nom propre, etc.).

Résultats : le discours de l’indignation est omniprésent, puisque 82,8 à 98,8 % des verbatim recueillis en comportent. Et aux États-Unis, les conservateurs sont plus à l’aise dans cet exercice que les libéraux (15,57 contre 10,32 usages de cette catégorie par prise de parole, en moyenne). Les auteurs remarquent cependant que les modèles argumentatifs et expressifs sont les mêmes à droite et à gauche, seule la fréquence de leur emploi varie.

Une étude comparative menée sur les journaux de la période 1955-1975 a également présenté des résultats intéressants. Elle montre en effet que cette « inflation émotionnelle » des prises de position politiques est récente : les chercheurs n’ont trouvé quasiment aucun élément caractéristique du discours de l’indignation dans les colonnes des principaux médias d’il y a 35 à 55 ans !

On peut supposer que la part de plus en plus importante de la télévision a facilité la montée des enchères émotionnelles observée depuis trois décennies. On peut également avancer que la course à la proximité, tant des marques avec leurs consommateurs que des politiques avec leurs électeurs, se gagne désormais avant tout sur le registre de l’émotion. Et il sera intéressant de voir comment Internet, le nouveau média dominant, fait évoluer cette tendance…

Référence : Berry J, Sobieraj S et al (2011), From incivility to outrage: Political discourse in blogs, talk radio, and cable news, Political Communication, e-pub.
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