vendredi 4 février 2011

L’empire des émotions. Communication de crise : risque, confiance et trahison

Un travail récent de deux universitaires américains éclaire de manière instructive les débats très vifs qui entourent actuellement en France l'affaire du Mediator.

Andrew D. Gershoff et Jonathan J. Koehler s'intéressent de longue date aux mécanismes de la confiance et de la trahison dans le comportement des individus. Leur dernière recherche concerne ce que l'on peut appeler les “produits de sûreté” (safety products). Airbags, détecteurs de fumée ou vaccins ont pour propriété commune supposée de nous protéger. Notre relation à ces produits est par conséquent marquée par une forte exigence qui, quand elle est déçue ou trahie, donne lieu à des réactions émotionnelles parfois disproportionnées.

Les deux chercheurs ont mené plusieurs tests pour vérifier ce trait psychologique. Des consommateurs volontaires devaient choisir entre deux systèmes d’airbags : le premier offrait une meilleure protection contre les accidents, mais présentait un risque très faible de dysfonctionnement ; le second fonctionnait parfaitement, mais protégeait moins efficacement en cas de choc. Les volontaires ont nettement rejeté le premier système, alors qu'un simple calcul leur permettait de constater que malgré le risque de “panne”, il diminuait très nettement le risque de mourir en cas d’accident. Rationnellement, la probabilité extrêmement faible que le premier système ne fonctionne pas, était donc largement compensée par celle, élevée, de préserver la vie plus efficacement que le second.

« Ce résultat montre que les gens ont des réactions émotives fortes quand un dispositif sûr présente un très faible risque de les trahir », concluent Gershoff et Koehler. Ils ajoutent qu’en pareil cas, au lieu de produire une analyse coût-bénéfice rationnelle, nous sommes disposés à rejeter violemment l'ensemble du dispositif. Les chercheurs notent au passage que cette tendance est très auto-centrée. En effet, s’il s’agit de faire des choix pour des inconnus, plutôt que pour soi et ses proches, nous sommes davantage enclin à prendre du recul et à comparer les risques.

Les produits de santé entrent bien sûr dans cette catégorie de biens et de services vis-à-vis desquels nous manifestons de fortes attentes et n’acceptons pas le moindre écart. Quand on communique à leur sujet, on doit tenir compte de cette dimension émotionnelle dans les réactions du public, et non se contenter d'un rappel sur les procédures formelles de sécurité sanitaire. La communication de crise a de beaux jours devant elle…

Référence : Gershoff AD, and J Koehler (2011), Safety first? The role of emotion in safety product betrayal aversion, Journal of Consumer Research, epub.
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