mardi 30 novembre 2010

Mort d’un visionnaire. La leçon d’économie de Mandelbrot (1924-2010)

Esprit original et indépendant, comme sa discipline en produit souvent, il avait réussi à être connu d’un assez large public… chose rare pour un mathématicien ! Cette reconnaissance venait de sa théorie des fractales à laquelle son nom restera attaché.

Qu’ont de commun une côte littorale, un flocon de neige, un morceau d’Appenzeller, un chou Romanesco ou un cours boursier ? Ils présentent tous une “homothétie d’échelle” ou “auto-similarité”. Cela signifie, par exemple, qu’une forme géométrique présente, à différents niveaux de sa structure, des formes et des motifs identiques. Un objet fractal c’est donc comme une gigogne dont une partie révèle le tout, ou le tout révèle les parties.

Très tôt, Mandelbrot a appliqué sa théorie à l’économie, et à la finance en particulier. La construction de la théorie fractale lui est en effet venue d’une interrogation antérieure, et plus large, sur la manière dont la science envisage la notion de hasard et rend compte des événements “extrêmes”. La tendance d’un chercheur, surtout en sciences appliquées, est généralement d’identifier des moyennes ; au risque d’écarter les phénomènes “extrêmes” (ou “hors-norme”) de son champ d’analyse. Or, l’économie est précisément un terrain privilégié pour de telles réductions.

La structure fondamentale des modèles financiers dérive en effet du modèle du mouvement brownien, qui avait inspiré les travaux précurseurs du Français Louis Bachelier au XIXe siècle : les fluctuations autour du cours moyen sont comme des particules ayant une probabilité identique de déplacement. Si les cours boursiers ont plutôt des propriétés fractales, comme Mandelbrot l’a montré en étudiant sur le long terme les cours du coton, l’« hypothèse de normalité » issue du modèle brownien (ou gaussien) ne tient pas : les événements “extrêmes” sont plus fréquents qu’on ne le pense et la régression à la moyenne n’a donc guère d’utilité descriptive et moins encore prédictive.

Après avoir suscité une grande curiosité, “l’hypothèse fractale” avait été mise à l’écart dans les années 1970 et 1980, quand triomphait un modèle financier standard prétendant avoir dompté le “hasard sauvage”. Depuis les années 1990 et 2000, nettement plus turbulentes pour les cours mondiaux, cette hypothèse retrouve tout son intérêt. Les best-sellers de l’analyste financier sceptique et disciple de Mandelbrot, Nassim Nicholas Taleb, en témoignent largement.

Par une ironie cruelle dont l’histoire a le secret, Benoît Mandelbrot est décédé peu après l’une des plus importantes crises financières de l’histoire du capitalisme, qui a montré le bien-fondé de ses doutes sur le modèle standard d’anticipation du comportement des marchés.

Reste à savoir si nous retiendrons la leçon de Mandelbrot…

Références : Mandelbrot B. (2005, nouvelle ed. 2009), Une approche fractale des marchés. Risquer, perdre et gagner, Odile Jacob ; Mandelbrot B. (2009), Fractales, hasard et finances, Champs-Flammarion ; Taleb N.N. (2008), Le cygne noir. La puissance de l’imprévisible, Belles-Lettres ; Taleb NN (2009), Le hasard sauvage. Comment la chance nous trompe, Belles-Lettres.
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