mercredi 15 avril 2009

Partager la valeur… ou les valeurs ?

par Charles Muller

Dans les pages « Idées & débats » des Echos, Yves Morieux du BCG (Boston Consulting Group) s’interroge sur le sens caché des rémunérations. Point de départ de son observation : le travail en lui-même produit de moins en moins de motivation et de satisfaction, donc d’engagement et de loyauté. « Les sondages indiquent une baisse de l'engagement et une insatisfaction croissante au travail, souligne Yves Morieux. La tendance remonte au moins à une vingtaine d'années. En 2001, un sondage Ifop-Gallup a dû recourir à un nouveau concept pour classer les opinions des actifs français, celui de « désengagement actif », qui caractérise les 28 % qui peuvent aller jusqu'à lutter activement contre les intérêts de leur entreprise. Selon le Conference Board, le pourcentage d'actifs américains qui se déclarent satisfaits par leur travail a chuté de 61 % en 1987 à moins de 50 % en 2007. La proportion de dirigeants américains qui se disent passionnés par leur travail - à ce niveau on est tenu à rien de moins - est passée de 65 % à 55 % en huit ans. »

Les rémunérations des cadres et dirigeants dont on parle tant apparaissent bien dans cette logique de désillusion : en tant qu’« incitations surajoutées », elles tentent de compenser ce défaut de mobilisation dans les entreprises. Ainsi, le partage de la valeur (économique, financière) tente de répondre au non-partage des valeurs (axiologiques, identitaires) de l’entreprise, mais il ne fait en réalité souvent que l’aggraver.

Et c’est patent en situation de crise : « (…) L'entreprise a besoin d'une loyauté et d'un engagement qui vont bien au-delà du seul respect des règles, insuffisantes face aux problèmes de plus en plus complexes qui se posent à elle à tous ses niveaux. D'où les discours sur la mobilisation collective, l'adhésion à la mission de l'entreprise et l'importance de la vision partagée. Mais, lorsque les choses tournent mal, on est enjoint à aller partager ailleurs. Un contrat social de substitution est alors apparu : performance contre employabilité. L'individu contribue à développer ou mettre en œuvre les stratégies porteuses de performance, et l'entreprise maintient son employabilité sur le marché du travail en développant ses compétences. Mais il s'agit d'un contrat social souvent pauvre, contribuant aussi au désengagement. »

Le diagnostic d’Yves Morieux est clair : « Le management s'est abstrait du travail, au propre et au figuré. Il faut lui redonner les moyens de son travail concret. La connaissance directe des opérations plutôt que la symbolique des indicateurs où on le confine. Le pouvoir réel à la place de l'abstraction des organigrammes virtuels ou en pointillés. Et au lieu des gloses sur les “styles de leadership”, un leadership ancré dans des valeurs incarnées. »

Mais voilà : combien d’entreprises s’interrogent-elles réellement, en profondeur, sur leur identité et leurs valeurs, dans la perspective de baîtir — et maintenir — une vision cohérente de l’entreprise et de sa stratégie ? Et combien d’entreprises, ayant fait ce premier travail, le traduisent-elles ensuite concrètement dans le management opérationnel, sans se limiter à de simples incantations saupoudrées à la va-vite sur les enjeux concrets de l’activité économique ou sur ceux du partage des compétences et de la performance ?
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