lundi 15 décembre 2008

Adieu confiance… Bonjour défiance

par Jean Laloux & Charles Muller

La confiance est un ingrédient aussi immatériel qu’essentiel au bon fonctionnement de l’économie et à la fluidité des échanges sociaux (des biens et des idées). Confiance dans l’avenir, confiance dans ses dirigeants politiques, confiance dans les dirigeants de son entreprise, confiance dans les partenaires sociaux, confiance en ses voisins, confiance dans son système éducatif… Mais la confiance ne se décrète pas ! C’est une disposition psychologique qui se nourrit de transparence, de pédagogie, de sincérité, de recherche d’équilibres entre les pouvoirs, entre les ressources, entre les chances de réussite scolaire et professionnelle.

De Charybde en Silla
Après la crise financière et ses conséquences, dont nous n’avons encore rien vu, l’affaire de fraude de Bernard Madoff, ancien dirigeant du Nasdaq de New York, poursuit la longue chronique nécrologique de la confiance.
On parle souvent de perte de confiance. Pardon ! La confiance ne s’est pas égarée, elle n’a pas été oubliée dans les plis de nos perceptions et de nos motivations, elle n’est pas un objet mental posé là et que nous retrouverons bientôt intact. Non. Brisée, cassée ; la confiance en rupture de ban. Comme dans un couple, la confiance existe ou n’existe pas. Et nous sommes à l’évidence dans une phase d’éclipse.

Des retrouvailles qui ne sont pas pour demain
Après la fracture sociale et la fracture numérique, voici venu le temps de la fracture éthique. Nous entrons dans l’ère de la suspicion généralisée : le citoyen suspecte la banque, qui suspecte l’Etat, qui suspecte les investisseurs et les actionnaires, qui suspectent l’entreprise, qui suspecte ses salariés et ses fournisseurs, etc.
Cette « crise » de confiance risque fort de s’amplifier dans les mois à venir. Peu de chance en effet que les données objectives offrent un terrain favorable à l’expression d’un sentiment de confiance…

Dans La société de défiance, publié en 2007 aux éditions Rue d’Ulm, Pierre Cahuc et Yann Algan ont analysé les mécanismes par lesquels le déficit de confiance, consubstantiel selon eux au modèle social français, constituait un puissant inhibiteur de croissance, d’innovation et de vitalité du lien social.
Quelques années auparavant, Alain Peyrefitte écrivait déjà dans La société de confiance (éd. Odile Jacob, 1995) : La société de défiance est une société frileuse, gagnant-perdant : une société où la vie commune est un jeu à somme nulle, voire à somme négative (si tu gagnes, je perds) ; société propice à la lutte des classes, au mal vivre national et international, à la jalousie sociale, à l’enfermement, à l’agressivité de la surveillance mutuelle. La société de confiance est une société en expansion, gagnant-gagnant, une société de solidarité, de projet commun, d’ouverture, d’échange, de communication.

En attente d'un sauveur qui ne viendra pas
En France, le problème est que l’intensité du niveau de défiance entre acteurs privés porte toujours plus à pousser le curseur de la confiance vers l’Etat dont, culturellement, nous attendons déjà beaucoup (trop) et qui n’en peut plus. Mécaniquement, les frustrations produites par d’inévitables déceptions amplifieront à leur tour la défiance et continueront à miner la confiance pourtant si nécessaire au fonctionnement « raisonnable » d’une société.

Le champ lexical actuel de la défiance va de la circonspection et de la suspicion à la désespérance en passant par l’écœurement et la crainte. Des dispositions fort peu réjouissantes…
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