samedi 13 septembre 2008

Respectez-vous les maximes de Grice ?

par Charles Muller

Dans un texte aujourd’hui classique paru en 1975, le philosophe Paul Grice a proposé quatre maximes pour analyser la valeur du langage :
  • Maxime de quantité : rendez votre contribution aussi informative que nécessaire pour les besoins de l'échange, évitez le surplus d'informations ;
  • Maxime de qualité : ne dites pas ce que vous pensez faux, ni ce pour quoi vous manquez d'éléments de preuve ;
  • Maxime de relation : soyez pertinent par rapport au contexte de la discussion ;
  • Maxime de modalité : soyez concis et clair, évitez les expressions obscures ou ambiguës.

La maxime de quantité concerne l’information, celle de qualité la vérité, celle de relation la pertinence (à l’égard du contexte) et celle de modalité la clarté (vis-à-vis du destinataire).

Cause toujours… tu ne m’intéresses plus
Grice s’inscrivait dans le courant dit de la pragmatique dont l’enjeu est le décryptage des critères de performance communicationnelle de nos conversations ordinaires. Mais à l’évidence les réflexions du philosophe concernent tout aussi bien le langage de l’entreprise. Que ce soit dans la communication interne ou externe, rares sont les discours ou écrits d’une entreprise qui obtiennent de bons scores dans les quatre maximes simultanément. Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de relire attentivement un courrier de réponse à une réclamation client ou une note interne :
  • Violation de la maxime de modalité : utilisation de jargons métiers opaques aux non-initiés ou d’un registre inapproprié au destinataire (ton administratif, comminatoire, autoritaire…)
  • Violation de la maxime de relation : des développements hors contexte parfois malvenus (une démarche commerciale alors que le client attend d’abord la résolution de son problème),
  • Violation de la maxime de qualité : des informations qui contredisent la perception intuitive du destinataire sans pour autant expliquer ni argumenter (le client est ravi d’apprendre que tout est normal mais son problème n’est concrètement toujours pas résolu),
  • Violation de la maxime de quantité : des explications lapidaires ou au contraire des développements aussi abondants qu’inutiles (le client se moque de savoir que le service technique a dû mobiliser ses ressources sur une machine qui jusqu’alors avait donné toute satisfaction…)

Le langage de l’entreprise à l’épreuve du quotidien
Curieusement, les entreprises — et tout particulièrement les Directions de relation clients — accordent encore peu d’importance à ce genre d’observation sur leur propre langage et la manière de construire et de conduire leur relation. Pourtant le langage est le premier vecteur de l’information, quels qu’en soient le support et la cible. A l’âge de l’économie cognitive, du knowledge management et du capitalisme de la connaissance, l’outil fondamental des échanges (notre langage) est le dernier auquel on pense quand il s’agit d’optimiser, de valoriser ou d’innover. On conçoit volontiers qu’un nom de marque ou de produit, qu’une signature, qu’un slogan publicitaire ou un discours de direction soient importants. Mais ce langage ordinaire qui constitue pourtant 95% des échanges internes et externes de l’entreprise est encore largement laissé en friche.

Référence :
Grice, H.-P. (1975), Logic and conversation, in Cole, P. and Morgan, J. (ed), Syntax and semantics, 3, 41-58, New York, Academic Press.
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