La « lutte pour l’existence » a longtemps dominé
la version vulgarisée du darwinisme, et elle est certainement une
réalité : le fait est que les organismes et populations luttent pour des
ressources, des territoires ou des accès aux partenaires sexuels. Mais à côté
de la compétition, les sciences du vivant ont découvert au cours des quatre
dernières décennies l’importance de la coopération dans l’évolution des
espèces. Et particulièrement de l’espèce humaine.
Pourquoi coopérer ? Il existe cinq stratégies à l’œuvre
dans le vivant, comme le rappelle dans un brillant essai le biologiste et
mathématicien Martin Nowak (2012a).
- La réciprocité directe : un individu a tendance à aider un autre individu l’ayant aidé (réciproquement, il aura tendance à trahir celui qui l’a trahi) ;
- La sélection spatiale ou réciprocité de voisinage : les individus en voisinage ont plus de relation d’entraide que les individus isolés ;
- La sélection de parentèle : puissante, elle pousse un individu à coopérer avec ceux qui partagent ses gènes (en commençant bien sûr par la famille) ;
- La coopération par réputation (ou réciprocité indirecte) : un individu ayant bonne réputation va s’attirer plus facilement l’aide de ses congénères ;
- La sélection de groupe aboutissant à la coopération universelle : certains individus peuvent accomplir des actes gratuits purs, qui servent à tout le groupe (la population, l’espèce).
Pour Martin Nowak, le succès rapide de l’espèce humaine
provient du fait que nous sommes non seulement une espèce sociale, mais aussi
une espèce « supercoopérative ». La raison ? Elle tient au langage
qui a boosté les premier et quatrième mécanismes de coopération (réciprocité
directe ; réciprocité indirecte de réputation). Grâce au langage, nous
échangeons des quantités phénoménales d’information sur notre milieu
principalement sur notre milieu social. Nous parlons les uns des autres, donc
nous sommes portés à sélectionner dans notre entourage
« informationnel » des individus ou des organisations dont on attend
une certaine réciprocité. Comme le rappelle Matin Nowak (2012b), « nous
sommes obnubilés par les interactions sociales et essayons de nous positionner
au mieux dans le réseau qui nous entoure. Des études ont montré que les
gens décident toujours en se fondant en partie sur la réputation, lorsqu’ils
doivent choisir un organisme de bienfaisance ou une entreprise à
soutenir ».
« Entreprise », le mot est lâché. L’imaginaire
dominant voici peu était encore celui de la compétition généralisée, la lutte
pour la survie dans une concurrence impitoyable du marché. Or, l’entreprise
obéit elle aussi aux lois de l’évolution naturelle et sociale : sans la
réputation et la coopération, elle décline, elle ne mobilise pas (ou mal) ses
collaborateurs, elle n’inspire pas (ou peu) confiance à ses parties prenantes,
elle néglige son public de client ou consommateur, n’incitant pas à cette
interaction de base qu’est l’échange.
A l’heure des médias numériques, des réseaux sociaux et de
la transparence quasi-intégrale, cette pression sur la réputation en vue de la
coopération est plus forte que jamais. Cela signifie pour l’entreprise que la
maîtrise de ses flux d’information est indispensable à la survie, a fortiori au
succès. Mais dans cet écosystème numérique, gare aux tentatives maladroites et
insincères de manipulation : elles entament en un clic de souris la
réputation de l’entreprise, et produisent aisément des catastrophes relationnelles,
donc économiques.
Nowak M, R. Highfield (2012a), Super Cooperators. Altruism, Evolution, and Why We Need Each Other to
Succeed, Free Press.
Nowak M (2012b), Les cinq piliers de l’entraide, Pour la Science, 419, 68-72.
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