mercredi 17 décembre 2008

Un plaidoyer pour les valeurs de la banque de l’après-crise

par Jean Laloux & Charles Muller

Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde du 15 décembre, Philippe Dupont, président du Groupe Banques Populaires en appelle à l’émergence d’une banque de l’après-crise qui devra présenter, selon lui, trois caractéristiques : la proximité, la solidité et la maîtrise. Philippe Dupont termine sa tribune par une justification argumentée de la fusion des Caisses d’épargne avec les Banques Populaires. Une fusion dont l’objectif est de constituer un pôle bancaire capable de porter les valeurs de cette banque de l’après-crise qu’il appelle de ses vœux.

L’identité des banques à reconstruire
Au-delà de l’exercice de communication autour d’une fusion annoncée, l’intérêt de cette tribune réside surtout dans l’affirmation que la reconstruction du capital immatériel de la banque — des banques — passe par une refondation des valeurs et des positionnements afférents. Comme nous le suggérions dans un post précédent, un travail de reconstruction et de refondation des valeurs doit maintenant se faire sur la base, entre autres, de réponses adaptées à ces trois questions : comment retisser de la confiance avec toutes les parties prenantes, espace social y compris ? Comment maintenir et recréer une relation de proximité, respectivement avec les salariés et les clients ? Comment rassembler tous les niveaux managériaux autour de valeurs crédibles et mobilisatrices pour tous ?

Que dit le texte au-delà du texte ?
Par habitude — ou déformation —, nous nous sommes livrés à une sommaire analyse de discours de la tribune de Philippe Dupont qui montre que si les substantifs les plus cités sont banque et crise, proximité et client viennent respectivement en 3e et 4e position, suivis par fusion.

La notion de proximité — centrale dans le texte de Philippe Dupont — est connotée autant dans sa dimension géographique (La banque de la proximité suppose enfin un ancrage territorial fort… ; …mais c’est aussi en proximité que devra être réinvestie l’épargne collectée dans un territoire…) que relationnelle (…une relation durable et globale [avec le client. Ndla] basée sur le conseil et le service de proximité… ; …c'est-à-dire à des actions de proximité avec des missions d'intérêt général et des actions en faveur de ceux qui entreprennent…), qu’« affective » (…je sais que nous avons la chance de partager une même tradition coopérative et de mêmes valeurs de proximité).

Autre point remarquable, l’ancrage temporel du discours. Nous sommes dans le projectif, le devenir d’une fusion promise et présentée avec un visage possible de la banque de l’après-crise (Notre futur groupe s'appuie d'autre part sur la modernité du statut coopératif. / …le tiers des clients du futur ensemble sont des sociétaires. / Ce lien déjà fort entre le futur groupe et ses sept millions de sociétaires ne demande qu'à se renforcer…). Un discours de la volonté, marqué par l’usage du futur et de verbes comme réussir, construire ou agir parmi les 5 verbes les plus utilisés (hors les auxiliaires être et avoir et les modalisateurs devoir et pouvoir). Une tonalité générale qui illustre bien la vision de la banque de l’après-crise par Philippe Dupont, et lui donne parfois les accents d’une triple conjuration :
  • Conjuration de la défiance à l’encontre des banques de la part du grand public souvent outré par une « valse des milliards » qui donne l’impression que la réalité de leurs besoins et difficultés est en définitive regardée de très loin ;
  • Conjuration de la fragilité du système bancaire — l’effet « château de carte » ou « domino », c’est selon —, qui fait craindre des lendemains rugueux avec des faillites en cascade, en raison notamment de la part extrêmement faible des fonds propres des banques, rapportée aux prises de risque ;
  • Conjuration de la nature incontrôlable du secteur bancaire dont l’opacité et la complexité des produits sont un facteur de crise, comme l’incapacité des spécialistes à anticiper certains effets pervers.
De ce point de vue, proximité, solidité et maîtrise constituent bien les outils rituels appropriés pour un exorcisme d’un genre nouveau : celui des démons de l’industrie financière.
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lundi 15 décembre 2008

Les valeurs des banques au jeu du chamboule-tout

par Jean Laloux

Dans notre étude consacrée aux mots de la crise, les banques apparaissent comme les grandes perdantes symboliques de la crise — et pas seulement symboliques ! De fait, elles sont parmi les premières entreprises à subir la rupture de confiance générale qui n’a cessé d’aller crescendo depuis le début de la crise. Les questions posées par cette nouvelle donne sont conséquentes : comment retisser de la confiance avec toutes les parties prenantes, espace social y compris ? Comment maintenir et recréer une relation de proximité, respectivement avec les salariés et les clients ? Comment rassembler tous les niveaux managériaux autour de valeurs crédibles et mobilisatrices pour tous ?

Des repositionnements sont à prévoir et les leaders du secteur banque-assurance seront plus exposés au risque d'image que leurs challengers qui pourraient tenter des opérations inédites, sinon agressives, d’acquisition de nouveaux clients. Un travail de redéfinition ou d’approfondissement des valeurs va s’imposer avec une posture fondamentale forte : authenticité et sincérité. Mais préempter ce genre de territoires de communication — en interne comme en externe — impose de les fonder sur des actions concrètes. Plus que jamais, il va falloir apporter la preuve de ce que l’on dit ! Plus que jamais, il va falloir utiliser la pédagogie comme mode relationnel privilégié, plus que jamais les directions de la communication devront travailler avec les directions RH… en confiance.
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Adieu confiance… Bonjour défiance

par Jean Laloux & Charles Muller

La confiance est un ingrédient aussi immatériel qu’essentiel au bon fonctionnement de l’économie et à la fluidité des échanges sociaux (des biens et des idées). Confiance dans l’avenir, confiance dans ses dirigeants politiques, confiance dans les dirigeants de son entreprise, confiance dans les partenaires sociaux, confiance en ses voisins, confiance dans son système éducatif… Mais la confiance ne se décrète pas ! C’est une disposition psychologique qui se nourrit de transparence, de pédagogie, de sincérité, de recherche d’équilibres entre les pouvoirs, entre les ressources, entre les chances de réussite scolaire et professionnelle.

De Charybde en Silla
Après la crise financière et ses conséquences, dont nous n’avons encore rien vu, l’affaire de fraude de Bernard Madoff, ancien dirigeant du Nasdaq de New York, poursuit la longue chronique nécrologique de la confiance.
On parle souvent de perte de confiance. Pardon ! La confiance ne s’est pas égarée, elle n’a pas été oubliée dans les plis de nos perceptions et de nos motivations, elle n’est pas un objet mental posé là et que nous retrouverons bientôt intact. Non. Brisée, cassée ; la confiance en rupture de ban. Comme dans un couple, la confiance existe ou n’existe pas. Et nous sommes à l’évidence dans une phase d’éclipse.

Des retrouvailles qui ne sont pas pour demain
Après la fracture sociale et la fracture numérique, voici venu le temps de la fracture éthique. Nous entrons dans l’ère de la suspicion généralisée : le citoyen suspecte la banque, qui suspecte l’Etat, qui suspecte les investisseurs et les actionnaires, qui suspectent l’entreprise, qui suspecte ses salariés et ses fournisseurs, etc.
Cette « crise » de confiance risque fort de s’amplifier dans les mois à venir. Peu de chance en effet que les données objectives offrent un terrain favorable à l’expression d’un sentiment de confiance…

Dans La société de défiance, publié en 2007 aux éditions Rue d’Ulm, Pierre Cahuc et Yann Algan ont analysé les mécanismes par lesquels le déficit de confiance, consubstantiel selon eux au modèle social français, constituait un puissant inhibiteur de croissance, d’innovation et de vitalité du lien social.
Quelques années auparavant, Alain Peyrefitte écrivait déjà dans La société de confiance (éd. Odile Jacob, 1995) : La société de défiance est une société frileuse, gagnant-perdant : une société où la vie commune est un jeu à somme nulle, voire à somme négative (si tu gagnes, je perds) ; société propice à la lutte des classes, au mal vivre national et international, à la jalousie sociale, à l’enfermement, à l’agressivité de la surveillance mutuelle. La société de confiance est une société en expansion, gagnant-gagnant, une société de solidarité, de projet commun, d’ouverture, d’échange, de communication.

En attente d'un sauveur qui ne viendra pas
En France, le problème est que l’intensité du niveau de défiance entre acteurs privés porte toujours plus à pousser le curseur de la confiance vers l’Etat dont, culturellement, nous attendons déjà beaucoup (trop) et qui n’en peut plus. Mécaniquement, les frustrations produites par d’inévitables déceptions amplifieront à leur tour la défiance et continueront à miner la confiance pourtant si nécessaire au fonctionnement « raisonnable » d’une société.

Le champ lexical actuel de la défiance va de la circonspection et de la suspicion à la désespérance en passant par l’écœurement et la crainte. Des dispositions fort peu réjouissantes…
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